Si les communautées de pêche artisanale subissent de plein fouet les effets du changement climatique, elles développent également des solutions communautaires et fondées sur la nature pour s'adapter et renforcer leur résilience. Dans cette note d'orientation, l'autrice passe en revue plusieurs exemples et formule des recommandations sur la manière dont l'UE peut soutenir ces initiatives.
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Le changement climatique transforme rapidement les paysages environnementaux et sociaux des zones côtières africaines.
Les captures des pêcheurs diminuent et les saisons de pêche sont de plus en plus perturbées sous l’effet de la hausse des températures marines, du déplacement des courants, des modifications de la répartition et de l’abondance des poissons, ainsi que de l’érosion côtière. Ces bouleversements affectent également les femmes engagées dans les activités post-capture, dont les moyens de subsistance s’en trouvent fragilisés.
Les effets du changement climatique se font particulièrement sentir au sein des communautés de pêche artisanale africaines, dont les moyens de subsistance dépendent d’écosystèmes marins prévisibles et en bonne santé, ainsi que de sites de débarquement et de transformation sûrs et accessibles depuis la terre. Si les flottes industrielles peuvent s’adapter à de nombreux impacts du changement climatique en se déplaçant vers d’autres zones de pêche ou en débarquant ailleurs, la majorité des hommes et des femmes de la pêche artisanale africaine n’en ont pas la possibilité. Leurs zones de pêche, leurs sites de débarquement et leurs infrastructures de transformation sont fixes. Lorsque le climat change, leurs conditions de vie changent avec lui.
Pourtant, ces communautés ne sont pas de simples victimes passives. Partout sur le continent, elles développent des solutions communautaires fondées sur la nature afin de renforcer leur résilience face au changement climatique. Compte tenu de leur vulnérabilité, mais aussi de leur contribution essentielle à la sécurité alimentaire, au développement rural et à la conservation de la biodiversité en Afrique, l’Union européenne (UE) a la responsabilité de soutenir activement ces initiatives.
1. Des impacts partout sur le continent
A) PRESSION ACCRUE SUR LES PETITS PÉLAGIQUES : LES OPPORTUNITÉS DE SUBSISTANCE S’AMENUISENT
Les ressources en petits pélagiques d’Afrique de l’Ouest, telles que la sardinelle et le bonga, se caractérisent par un cycle de vie court, une croissance rapide et une forte dépendance à la température de l’océan, aux courants marins et aux systèmes de remontées d’eau côtières — des processus par lequel des eaux profondes, froides et riches en nutriments remontent à la surface. De légères variations de la température de surface de la mer, des régimes de vent ou de la productivité du plancton peuvent ainsi entraîner des changements rapides dans la répartition, la reproduction et la survie de ces espèces. Le réchauffement des eaux, les modifications des courants et l’affaiblissement des remontées d’eau liés au changement climatique peuvent provoquer des déclins soudains d’abondance ou des déplacements brusques de ces ressources.
Au Sénégal, dans des villes telles que Saint-Louis, Mbour et Joal, les communautés de pêche et les scientifiques constatent que la sardinelle, autrefois abondante à seulement quelques kilomètres du rivage, se déplace désormais plus au nord durant les mois les plus chauds. Au cours des deux dernières décennies, le grand écosystème marin du courant des Canaries, qui s’étend du Maroc au Sénégal, a connu un réchauffement marqué, des changements dans les régimes de vent et une diminution de l’intensité des remontées d’eau. À mesure que les eaux se réchauffent et que la productivité diminue, les petits pélagiques, comme la sardinelle, migrent vers le nord. Ainsi, la sardinelle ronde, autrefois l’espèce pélagique la plus abondante de ces côtes, s’est déplacée d’environ 180 km vers le nord, ce qui correspond à un changement d’ampleur comparable aux changements dans les conditions environnementales.
En Gambie, l’augmentation de la température de l’eau, la hausse de la salinité et les modifications des apports en eau douce dans les estuaires affectent le bonga, une espèce qui dépend de l’équilibre entre eaux douces et eaux salées pour s’alimenter, croître et se reproduire. Le déclin progressif du bonga, aliment de base de la sous-région, réduit les matières premières disponibles pour les femmes actives dans la transformation du poisson à Tanji, Brufut (Gambie) et Kafountine (Sénégal). Cette pression est encore renforcée par l’expansion rapide des usines de farine de poisson, qui entrent en concurrence directe pour l’accès aux mêmes ressources halieutiques.
La Mauritanie est particulièrement vulnérable à la désertification et à l’élévation du niveau de la mer. Par rapport au début des années 2000, sa zone économique exclusive (ZEE) connaît aujourd’hui plus de 200 jours par an sous l’influence d’eaux tropicales chaudes, contre environ 170 auparavant. Les effets de ce réchauffement se manifestent par un déclin des stocks de poissons et des perturbations des chaînes alimentaires marines, y compris au sein de zones protégées telles que le parc national du Banc d’Arguin. Ces évolutions menacent à la fois les moyens de subsistance des pêcheurs et la sécurité alimentaire locale, tout en aggravant la pauvreté des communautés côtières.
Très sensibles aux variations océaniques, les petits pélagiques d’Afrique de l’Ouest, tels que la sardinelle et le bonga, se déplacent et déclinent sous l’effet du réchauffement climatique, fragilisant les pêcheries artisanales et la sécurité alimentaire régionale. Photo : le site de débarquement de Gunjur, Gambie, par Mamadou Aliou Diallo.
Au Ghana, l’augmentation des températures marines et l’évolution des conditions météorologiques modifient également le comportement des poissons. De nombreux pêcheurs artisans signalent que des espèces autrefois facilement capturées près de la surface disparaissent ou se déplacent vers des eaux plus profondes et plus éloignées du littoral.
Au-delà des pertes immédiates de captures, le changement climatique constitue une menace majeure pour la sécurité alimentaire à long terme. En effet, de nombreuses espèces clés exploitées par la pêche artisanale et consommées par les populations les plus pauvres de la région, notamment la sardinelle, sont particulièrement sensibles aux variations environnementales. Les communautés de pêche artisanale font ainsi face à une diminution des captures, à une baisse de leurs revenus et à une incertitude croissante quant à leur avenir.
Ces transformations environnementales liées au réchauffement climatique, combinées à la surexploitation actuelle des ressources, accentuent la pression sur les stocks de poissons pélagiques au-delà des frontières nationales. Elles rendent la gestion durable plus complexe et renforcent la nécessité de politiques régionales coordonnées afin de préserver la biodiversité, les moyens de subsistance, et la sécurité et souveraineté alimentaire en Afrique.
B) VULNÉRABILITÉ CLIMATIQUE DANS LA RÉGION OCCI-DENTALE DE L’OCÉAN INDIEN : LE CAS DE LA PÊCHE RÉCIFALE
Le changement climatique ne transforme pas uniquement les pêcheries pélagiques. Les pêcheries récifales des pays de l’océan Indien occidental sont également confrontées à des menaces majeures.
Aux Seychelles, par exemple, la majorité des pêcheries artisanales opèrent dans des eaux côtières peu profondes, notamment les lagons, les zones récifales et les baies côtières, ce qui crée une forte dépendance à la bonne santé des écosystèmes récifaux. Or, ces écosystèmes sont particulièrement vulnérables au réchauffement des océans, à l’acidification des eaux et aux changements des conditions météorologiques.
À mesure que les récifs se dégradent, les cycles de reproduction des poissons sont perturbés et les captures deviennent plus imprévisibles. Cette situation menace non seulement la biodiversité marine, mais aussi les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire des communautés de pêche artisanale.
Si certains pêcheurs parviennent à s’organiser en coopératives et à se tourner vers des activités de pêche en haute mer, ciblant des espèces de plus grande taille, ils se heurtent à de nouveaux défis. Ceux-ci incluent la concurrence accrue avec les flottes industrielles et, surtout, les risques liés à la navigation en mer. Les pêcheurs indiquent devoir passer davantage de temps en mer, ce qui accroît les dangers pour leur sécurité, d’autant plus qu’ils ne disposent pas toujours de l’équipement ou des compétences nécessaires.
Le Kenya, la Tanzanie, Madagascar, le Mozambique, les Comores et Maurice font face à des conditions écologiques et socio-économiques similaires. Dans ces pays, de nombreuses pêcheries artisanales dépendent des récifs coralliens, des herbiers marins, des mangroves et des lagunes ; la dégradation de ces habitats entraîne donc une érosion directe des ressources halieutiques dont elles dépendent.
C) EN ÉTAU ENTRE LA HAUSSE DU NIVEAU DE LA MER ET DES TERRITOIRES QUI S’AMENUISENT
Au-delà des changements en mer, les côtes elles-mêmes sont en train de disparaître. L’érosion côtière est devenue l’une des réalités les plus tangibles pour les communautés côtières africaines.
La ville de Saint-Louis, dans le nord du Sénégal, illustre de manière dramatique cette situation. La brèche qui s’élargit le long de la péninsule sablonneuse de la Langue de Barbarie a englouti des habitations de pêcheurs, des sites de transformation du poisson exploités par les femmes, ainsi que de larges portions de plage où les pirogues débarquaient autrefois leurs captures. Les conditions dangereuses à l’embouchure du fleuve Sénégal entraînent chaque année des accidents parmi les pirogues et des pertes humaines. Les tentatives de relocalisation ont été lentes et souvent inadaptées aux besoins des communautés. En Casamance, dans le sud du pays, l’accélération de l’érosion menace la survie de nombreuses petites îles de la région.
L’érosion côtière grignote les villages des communautés côtières et fragilise les infrastructures des sites de transformation du poisson, obligeant les femmes transformatrices à se déplacer vers des installations temporaires. Photo : à cause des faibles précipitations et du phénomène de sédimentation le niveau de la rivière recul sur le site de débarquement d’Old Jeshwang, par Margaux Rochefort.
La côte mauritanienne, très basse, est particulièrement exposée à l’élévation du niveau de la mer, aux ondes de tempête, à la montée des eaux souterraines en zone littorale et à l’érosion côtière. L’élévation des eaux dégrade les défenses naturelles du littoral, telles que les dunes et les mangroves, augmentant le risque d’inondation d’infrastructures essentielles, notamment les sites de débarquement.
En Gambie, les communautés de pêche observent que l’eau de mer s’infiltre désormais loin à l’intérieur des terres, perturbant les pratiques traditionnelles de séchage du poisson. Des pêcheurs expérimentés signalent des phénomènes météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents : vents plus forts, vagues plus hautes et ondes de tempête dangereuses, qui compliquent les opérations de pêche et augmentent les risques pour les équipages. Beaucoup relient la baisse de prévisibilité des saisons et la diminution de l’abondance des poissons à la hausse des températures mondiales, les périodes plus fraîches n’étant plus suffisantes pour refroidir la mer.
Au Ghana, les tempêtes accrues, les raz-de-marée et les inondations endommagent régulièrement les pirogues et les engins de pêche. Dans des communautés telles qu’Axim, Dixcove et Jamestown, l’érosion exerce une pression intense sur des sites de débarquement déjà surpeuplés. À mesure que la mer grignote la côte, les communautés de pêche artisanale se retrouvent pris entre l’eau et les nouvelles infrastructures portuaires. Les femmes transformatrices de poisson, centrales dans la chaîne de valeur artisanale, sont contraintes de se déplacer vers des sites temporaires ou inadaptés, perdant l’accès à l’eau et aux installations de stockage.
Les communautés côtières de Sierra Leone font face à une combinaison de facteurs : élévation du niveau de la mer, tempêtes et recul des mangroves. À Shenge et Tombo, les femmes doivent reconstruire les structures de transformation après chaque tempête majeure, tandis que les inondations endommagent régulièrement marchés et chambres froides. Le recul des mangroves, essentielles pour stabiliser la côte et soutenir la récolte des coquillages, expose encore davantage le littoral.
Dans les pays de l’océan Indien occidental, tels que Madagascar et le Mozambique, l’élévation du niveau de la mer, la fréquence accrue des cyclones intenses et la modification des régimes de pluie contribuent au recul continu du littoral, à l’intrusion d’eau salée et à la perte des zones humides côtières protectrices. Ces changements fragilisent également les mangroves et autres défenses naturelles, mettant en danger les infrastructures côtières, les villages de pêche et leurs moyens de subsistance.
D) LES FEMMES, PARMI LES PREMIÈRES À SUBIR LES IMPACTS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
Les femmes impliquées dans la pêche artisanale en Afrique — en tant que pêcheuses, transformatrices, poissonnières ou ostréicultrices — sont touchées de manière disproportionnée par le changement climatique. Dans de nombreux États côtiers d’Afrique de l’Ouest, les petits pélagiques et les espèces estuariennes dont elles dépendent subissent déjà la pression de la surpêche et de la dégradation de l’environnement. Le réchauffement des eaux, l’acidification des océans et les variations de salinité accentuent encore les impacts sur l’abondance et la répartition de ces stocks, entraînant des répercussions directes sur les captures et les débarquements.
À mesure que les prises des pêcheurs diminuent ou se déplacent vers de nouvelles zones, l’approvisionnement en matières premières nécessaires aux activités de transformation et de commercialisation des femmes se réduit.
En Gambie, par exemple, les femmes représentent la majorité des transformatrices de poisson et des pêcheuses de coquillages. L’élévation du niveau de la mer, les inondations côtières et la salinisation menacent les mangroves et les sites de débarquement situés à basse altitude, endommageant les fumoirs, les aires de séchage et les installations de stockage.
Dans tout le pays, les femmes ostréicultrices, organisées en groupes tels que la TRY Oyster Women Association et soutenues par des projets de restauration des mangroves, se trouvent en première ligne face aux répercussions des changements climatiques. Après avoir investi dans la culture des huîtres comme stratégie de subsistance alternative, elles doivent désormais faire face à la diminution des ressources en coquillages à mesure que les mangroves dépérissent ou sont submergées. Cela les oblige à consacrer davantage de temps et d’efforts pour récolter une quantité suffisante de produits, afin de maintenir leurs revenus et répondre aux besoins alimentaires de leur foyer.
Pour de nombreuses femmes dont les moyens de subsistance dépendent de débarquements de poissons et de récoltes prévisibles de coquillages, le changement climatique se traduit donc par un surcroît de travail, une baisse des revenus et une insécurité alimentaire accrue.
Face à la montée des eaux, à la dégradation des écosystèmes côtiers, et à la baisse des captures, les femmes de la pêche artisanale doivent redoubler d’efforts pour préserver leurs revenus et nourrir leurs familles, tout en manquant d’infrastructures essentielles comme des chambres froides pour préserver le poisson plus longtemps. Photo : Khadidyatou Baro fume du bonga sur le site d’Old Jeshwang, en Gambie, par Margaux Rochefort.
Les femmes travaillant dans la pêche artisanale sont déjà confrontées à des inégalités structurelles entre les genres, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique. Dans l’ensemble des systèmes halieutiques et alimentaires aquatiques africains, les études montrent que les femmes sont principalement concentrées dans les maillons les plus informels et les moins rémunérateurs des chaînes de valeur, notamment la transformation post-capture et le commerce local. Elles disposent également de droits d’accès aux ressources et aux moyens de production plus restreints et rencontrent souvent des obstacles pour obtenir des crédits ou investir dans des technologies améliorées, comme les chambres froides ou les fours modernes.
Les femmes ont par ailleurs moins de voix dans les processus décisionnels liés à la pêche : elles sont sous-représentées dans les comités de cogestion, les organisations de producteurs et les forums politiques nationaux. En conséquence, leurs vulnérabilités spécifiques et leurs priorités en matière d’adaptation sont rarement prises en compte dans les stratégies de gestion de la pêche ou du changement climatique. Parallèlement, elles assument la majorité des tâches domestiques et des soins non rémunérés, ce qui limite leur temps et leur mobilité pour diversifier leurs sources de revenus, suivre des formations ou migrer en réponse aux transformations environnementales liées au réchauffement climatique.
Cette combinaison d’un accès limité aux actifs et au capital, d’un faible pouvoir décisionnel et d’une charge domestique importante expose les femmes de la pêche artisanale aux chocs climatiques et restreint leur capacité d’adaptation, alors même qu’elles jouent un rôle central dans la sécurité alimentaire et la résilience de leurs communautés.
2. Comment les communautés de pêche artisanale africaine renforcent-elles la résilience communautaire face au changement climatique
Les hommes et les femmes de la pêche artisanale africaines ne se limitent pas à subir les impacts du changement climatique : ils développent et mettent en œuvre des réponses concrètes qui renforcent la résilience de leurs communautés. Fondées sur les savoirs locaux, l’organisation collective et l’innovation pragmatique, ces stratégies contribuent déjà à la stabilisation des écosystèmes et des moyens de subsistance face à l’accélération des transformations environnementales.
L’une des contributions les plus tangibles concerne la gestion écosystémique ainsi que la restauration et la protection des écosystèmes côtiers. Dans des pays tels que le Sénégal, la Guinée-Bissau et le Bénin, des groupes de femmes ont pris l’initiative de réhabiliter les forêts de mangroves, qui stabilisent le littoral, limitent l’érosion et constituent des zones de reproduction essentielles pour les huîtres, les crevettes et les espèces juvéniles. Ces actions soutiennent la biodiversité tout en préservant les espaces de travail et les ressources alimentaires dont dépendent les communautés locales. En parallèle, ces femmes mènent des actions de sensibilisation auprès de leurs pairs afin de promouvoir l’usage de sources de combustible alternatives pour les fours de fumage, réduisant ainsi la pression exercée sur le bois de mangrove.
Au Ghana, au Sénégal et en Sierra Leone, les pêcheurs se sont également organisés autour d’initiatives de surveillance participative visant à combattre les pratiques de pêche destructrices, telles que le chalutage illégal ou l’utilisation de filets monofilament dans les zones côtières. En protégeant les frayères et les habitats sensibles, ils contribuent au renforcement des systèmes naturels qui atténuent les effets des tempêtes et de l’érosion côtière.
Par ailleurs, les pêcheurs adaptent leurs pratiques en réponse directe aux évolutions de la répartition des espèces halieutiques. À mesure que certaines espèces traditionnellement exploitées s’éloignent des zones côtières ou modifient leurs trajectoires migratoires, des communautés de Mauritanie et du Sénégal ont diversifié à la fois leurs engins de pêche et les espèces ciblées. Certaines se sont ainsi orientées vers la pêche au piège ou à la ligne à main pour l’exploitation d’espèces démersales, évitant ainsi de devoir recourir à des sorties en mer plus longues et plus dangereuses pour la capture de petits pélagiques devenue de plus en plus imprévisible. En parallèle, les femmes développent des activités génératrices de revenus alternatives, telles que la production de sel ou l’ostréiculture, contribuant à la diversification des moyens de subsistance.
D’autres stratégies reposent sur la combinaison des connaissances écologiques traditionnelles et d’informations météorologiques améliorées afin de faire face à des conditions climatiques de plus en plus instables. Au Sénégal, les pêcheurs intègrent les prévisions météorologiques issues de la science moderne aux indicateurs écologiques locaux — variations des vents, cycles de marée, comportement des oiseaux marins — pour identifier les périodes favorables à la pêche et réduire les risques d’accidents en mer.
Les communautés de pêche artisanale déploient des stratégies d’adaptation au changement climatique, combinant notamment restauration des mangroves, diversification des pratiques et surveillance participative. Pourtant, le manque de ressources financières, d’espace politique et de reconnaissance institutionnelle limite l’étendue de leurs actions. Photo : un homme et une femme transporte du poisson sur le site de Gunjur, en Gambie, par Mamadou Aliou Diallo.
Les dispositifs de cogestion renforcent également la résilience des communautés de pêche. En associant pêcheurs, acteurs et actrices de la transformation et autorités locales, ces mécanismes de gouvernance participative permettent d’ajuster les règles de gestion aux réalités écologiques en constante mutation et de limiter les tensions liées à la raréfaction des ressources halieutiques.
Les instances locales de cogestion, allant des Comités locaux de pêche artisanale (CLPA) au Sénégal aux Canoe Councils au Ghana, constituent des espaces de concertation où les communautés peuvent négocier les calendriers de pêche, résoudre les conflits et intégrer les informations climatiques dans les décisions de gestion. À l’échelle régionale, les comités mixtes proposés par la Confédération africaine des organisations de pêche artisanale (CAOPA), réunissant des femmes et des hommes actifs dans la pêche artisanale des petits pélagiques de la Mauritanie au Sénégal, en passant par la Gambie et la Guinée-Bissau, sont essentiels pour garantir que toute future gestion régionale de ces stocks soit véritablement inclusive et participative.
Les mécanismes de solidarité communautaire, notamment les caisses de solidarité souvent portées par des associations de femmes, offrent un filet de sécurité supplémentaire en permettant aux ménages de mutualiser les risques et de se relever plus rapidement des perturbations climatiques affectant leurs activités.
L’ensemble de ces initiatives met en évidence un constat fondamental : les pêcheurs artisans ne se placent pas dans une posture d’attente vis-à-vis de solutions externes. Leurs savoirs, leurs stratégies d’adaptation et leurs pratiques constituent d’ores et déjà les fondations d’une résilience accrue face au changement climatique.
Ce qui fait encore défaut, en revanche, ce sont les ressources financières, l’espace politique et la reconnaissance institutionnelle nécessaires pour amplifier ces efforts et les intégrer pleinement aux stratégies nationales et régionales de gestion des pêches et d’adaptation au changement climatique.
3. Le soutien nécessaire des populations en première ligne du changement climatique : un plan d’action de l’UE en Afrique
Le rôle des partenaires internationaux est déterminant pour renforcer la résilience des communautés côtières africaines face au changement climatique. L’Union européenne, par ses politiques de coopération au développement, de commerce et de pêche, exerce une influence majeure sur la gouvernance de la pêche en Afrique. Il est donc impératif que l’intégration de la résilience climatique devienne une priorité dans l’action de l’UE dans ce secteur.
Les Directives volontaires de la FAO pour assurer une pêche artisanale durable dans le cadre de la sécurité alimentaire et de la réduction de la pauvreté (DVPAD), qui abordent explicitement les enjeux liés au changement climatique et aux risques de catastrophe, doivent constituer un point de référence clé pour l’action européenne. Ces directives incitent les États, les communautés et les partenaires à prendre en compte les impacts différenciés de l’élévation du niveau de la mer, des tempêtes et de la dégradation des écosystèmes sur les communautés de pêche artisanale, tout en soutenant des moyens de subsistance et des chaînes de valeur adaptatifs et résilients. Elles offrent ainsi un cadre solide permettant d’ancrer l’action extérieure de l’UE dans des principes de sécurité alimentaire, de justice sociale et de durabilité.
1. Cohérence politique
La cohérence des politiques dans l’ensemble des actions extérieures de l’UE est cruciale pour soutenir efficacement la résilience climatique. À titre d’exemple, les politiques commerciales de l’UE devraient éviter de favoriser le développement des industries de la farine et de l’huile de poisson, qui entrent en concurrence directe avec la sécurité alimentaire locale, particulièrement dans un contexte où le changement climatique exerce une pression accrue sur les stocks de petits pélagiques. De même, les politiques environnementales et climatiques devraient reconnaître explicitement la pêche artisanale comme une source de solutions fondées sur la nature, capables à la fois de préserver les écosystèmes et de soutenir les moyens de subsistance. Les programmes financés par l’UE visant à lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) devraient systématiquement intégrer des systèmes de surveillance communautaires. Ces mécanismes sont essentiels pour limiter la pêche illégale, qui devient d’autant plus destructrice lorsque les écosystèmes sont affaiblis par le stress climatique.
2. Un financement qui priorise les communautés de pêche artisanale
Conformément aux recommandations de CAPE, l’UE doit s’assurer que les fonds alloués à la pêche dans le cadre financier pluriannuel 2028-2034 bénéficient prioritairement à la pêche artisanale et aux communautés côtières, et ne soient pas détournés vers des projets industriels de « croissance bleue » qui compromettent la résilience et la sécurité alimentaire. Cela implique notamment de prévenir les aménagements industriels entraînant le déplacement des communautés de pêche et d’éviter les sociétés mixtes de pêche non réglementées qui concurrencent les flottes artisanales, tout en garantissant une transparence totale concernant la propriété des navires, les licences et les activités de pêche.
3. Financement du développement pour soutenir des communautés de pêche artisanale résilientes au changement climatique
L’instrument de développement de l’UE, NDICI – Global Europe, représente une opportunité majeure pour soutenir la pêche artisanale dans le cadre d’une approche intégrée visant des systèmes alimentaires résilients et durables face au changement climatique. La programmation NDICI devrait élargir son soutien aux innovations post-récolte portées par les femmes et aux infrastructures de transformation adaptées au changement climatique, promouvoir la diversification durable des moyens de subsistance dans les zones les plus affectées et veiller à ce que la pêche artisanale soit systématiquement intégrée aux plans nationaux d’adaptation au changement climatique.
En coopération avec les autorités et les organisations de pêche locales, l’UE devrait également appuyer l’élaboration de stratégies d’aménagement des zones côtières qui tiennent compte des besoins et des réalités économiques des communautés confrontées à l’érosion, aux inondations et aux déplacements forcés.
Par ailleurs, les initiatives de Team Europe axées sur la résilience climatique des zones côtières et l’économie bleue doivent reconnaître les hommes et les femmes de la pêche artisanale comme des partenaires centraux plutôt que comme de simples bénéficiaires. Cette approche garantirait que les besoins des communautés soient prioritaires face aux projets à grande échelle ou industriels.
4. Une approche régionale
Au niveau régional, un renforcement de la coopération entre l’UE et l’Union africaine (UA) peut considérablement soutenir l’adaptation au changement climatique. La stratégie pour l’économie bleue et l’initiative « Ceinture bleue » de l’UA reconnaissent déjà l’importance de la restauration des écosystèmes et du renforcement de la résilience climatique. Le soutien de l’UE devrait faciliter la mise en œuvre de ces cadres par une meilleure coordination sur les stocks partagés de petits pélagiques, l’adoption de politiques de pêche harmonisées et sensibles au climat, ainsi que le développement de systèmes transfrontaliers de surveillance climatique et de préparation aux situations d’urgence.
5. Utilisation de l'appui sectoriel des accords de pêche pour soutenir la cogestion
Les accords de partenariat pour une pêche durable (APPD) offrent un potentiel significatif en tant qu’instruments d’adaptation au changement climatique. Il est essentiel d’intégrer systématiquement les évaluations de la vulnérabilité climatique dans l’analyse, les négociations et le renouvellement des APPD, afin que les opportunités de pêche reflètent les réalités écologiques actuelles plutôt que les pratiques historiques. L’accès prioritaire des pêcheurs artisanaux, notamment pour les espèces côtières déjà affectées par le réchauffement des eaux, devrait être explicitement reconnu comme un levier pour renforcer la résilience des communautés de pêche artisanale. L’appui sectoriel des APPD devrait cibler des infrastructures et pratiques adaptées au changement climatique, telles que des sites de débarquement résilients, des espaces de transformation sécurisés pour les femmes, des entrepôts frigorifiques fonctionnant à partir d’énergies renouvelables, la restauration des mangroves, la protection communautaire des habitats et des systèmes de surveillance participatifs.
Il est également nécessaire de promouvoir l’établissement de droits fonciers et sécurisés pour les communautés de pêche, incluant des zones protégées cogérées spécifiquement réservées à la pêche artisanale. Ces garanties juridiques sont cruciales pour l’adaptation au changement climatique et pour assurer la souveraineté alimentaire à long terme. Par ailleurs, la participation des pêcheurs, des femmes transformatrices et des organisations de la société civile doit être institutionnalisée dans la gouvernance des APPD et dans les dialogues de l’UE sur la pêche, via des mécanismes permanents de conseil et de contrôle, et non à travers des consultations ponctuelles.
Si l'UE aligne ses politiques en matière de pêche, de développement, de commerce et de climat sur les réalités vécues par les communautés côtières africaines, elle peut contribuer à transformer les efforts de résilience locaux en voies d'adaptation durables. Le soutien des communautés de pêche artisanale africaines n'est pas seulement une question d'équité, c'est aussi un investissement stratégique dans la sécurité alimentaire, le développement rural, la conservation de la biodiversité, la gouvernance des océans et la durabilité à long terme des partenariats entre l'UE et l'Afrique.
Photo de l’entête : photo d’illustration de Zayed Ahmed Zadu.


Le changement climatique transforme le paysage et l'environnement social des côtes africaines. Si les communautés de pêche artisanale sont les premières à subir les effets du changement climatique, elles développent également des solutions communautaires et fondées sur la nature pour s'adapter et renforcer leur résilience. Dans cet article, l'autrice passe en revue quelques exemples et formule des recommandations sur la manière dont l'UE peut soutenir ces initiatives.