Marées montantes, captures en baisse : la pêche artisanale gambienne face au changement climatique

« L’une des principales causes de la raréfaction du poisson est l’augmentation des températures marines, qui nous contraint, nous pêcheurs, à prolonger nos sorties en mer et donc à engager davantage de dépenses en carburant et en glace  », explique Mamadou Dieye, alias Diebesek, capitaine de pirogue, qui, au cours de ses 20 ans de carrière, a vu comment le réchauffement climatique pouvait impacter les conditions de travail des pêcheurs.

Cette expérience individuelle illustre une tendance plus large : la combinaison de l’élévation du niveau de la mer, des conditions météorologiques extrêmes et de l’effondrement des stocks transforme les réalités locales et menace les moyens de subsistance des communautés de pêche artisanale en Gambie. Le pays figure parmi les plus exposés à la montée des eaux, près de 50 % de son territoire se situant à moins de 20 mètres au-dessus du niveau de la mer, tandis que son littoral subit une érosion rapide. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, 185 000 personnes vivent à moins d’un kilomètre de la côte, et les effets touchent particulièrement les populations côtières, en particulier les communautés de pêche artisanale.

1. Les communautés côtières gambiennes à l’avant-poste du changement climatique

Situé dans le sud de la Gambie, le site de débarquement de Gunjur ne fait pas exception. À 400 mètres du rivage, du poisson sèche au soleil sur des tables. Salif Ndure, pêcheur depuis ses 15 ans, observe que la mer s’infiltre de plus en plus souvent jusqu’aux tables de séchage, « empêchant le poisson de sécher correctement ». Il note également une augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes : « des vents et des vagues plus forts emmêlent les filets et rendent les captures plus difficiles à sécuriser. »

D’autres pêcheurs rapportent des changements similaires. Mamadou Dieye, capitaine de pirogue sénégalais, ajoute que la recrudescence de vents violents et de la forte houle menacent la sécurité des pêcheurs. Il explique avoir suivi des formations sur l’analyse de la météo en mer et la lecture des courants maritimes et que ces connaissances « devraient être plus répandues parmi les capitaines de pirogues afin d’assurer une sécurité accrue pour tous les pêcheurs à bord ». Il impute également au réchauffement climatique d’autres effets : « la saison froide n’apporte plus l’abondance d’autrefois, l’eau n’a plus le temps de se refroidir. »

Une étude d’ICSF (2025) montre que l’augmentation de la température de l’eau entraîne « une réduction de la croissance des poissons et un ralentissement de leur reproduction » et, combinée à la pression de la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN), peut provoquer l’effondrement de certaines pêcheries, notamment les pêcheries démersales. Pour y faire face, il est crucial de mettre en place des stratégies de gestion visant à réduire les prises accessoires et à prévenir efficacement la pêche INN.

« À l’heure actuelle, on observe une recrudescence de phénomènes météorolagiques extrêmes en mer. Afin d’assurer la sécurité de tous les pêcheurs à bord, les capitaines de pirogues devraient suivre des formations en météo maritime. » »
— Mamadou Dieye, capitaine de pirogue

Les pêcheurs constatent unanimement la baisse des stocks. «Avant, une sortie de 12 heures suffisait. Maintenant, je dois passer plus d'heures en mer et aller plus loin », explique M. Dieye. De son côté, Fatou Choye Pierre, mareyeuse et présidente de l'Association nationale des opérateurs de pêche artisanale (NAAFO) de Gambie, ajoute qu'« il y a cinq ans, les pêcheurs n’allaient pas au-delà de 7-8 miles pour revenir avec une cargaison complète ; aujourd'hui, ils doivent souvent naviguer jusqu’à 12 miles et sont toujours confrontés à l'incertitude. » Ces sorties de pêche plus longues nécessitent davantage de carburant et de glace, ce qui réduit directement les bénéfices et pousse certains pêcheurs à devoir emprunter de l'argent à leur famille, qui préfinancent ainsi leurs sorties de pêche. Mme Choye souligne que la raréfaction du poisson a aussi conduit certains pêcheurs à se tourner vers la capture de poissons plus petits et juvéniles pour éviter de revenir les mains vides, une stratégie qui alimente un cercle vicieux et qui menace les stocks futurs en empêchant les poissons de se reproduire.

Sur le site de débarquement d'Old Jeshwang, situé dans un méandre de rivière à moins d'un kilomètre de la côte, Fatou Choye et Mariama Jeng nous montrent comment la rivière s'est retirée au fil des ans en raison d'une saison des pluies plus courte et de la sédimentation. Les deux femmes expliquent que cela a contraint les pêcheurs à décharger le poisson à plusieurs dizaines de mètres du site ce qui ajoute à la pénibilité et augmente le risque de pertes post-capture.

L’étude d’ICSF souligne qu’en Gambie, « les pertes post-capture restent très élevées, atteignant environ 20 %, en particulier pendant la saison haute, en raison des lacunes dans les infrastructures des sites de débarquement, de l’accès à l’eau potable et de l’assainissement, et surtout d’une chaîne du froid incomplète ou peu fiable. » Cette situation soulève une question cruciale : face à la baisse des ressources halieutiques disponibles, comment mieux conserver le poisson ? Sur les sites de débarquement d’Old Jeshwang et de Gunjur, la plupart des entrepôts frigorifiques sont vieux, rouillés et rarement raccordés à l’électricité, ce qui limite la conservation du poisson frais à une seule journée et empêche sa congélation. « Lorsque le poisson se raréfie, les transformatrices doivent se rendre sur d’autres sites comme Tanji pour maintenir l’approvisionnement », regrette Mme Jeng. Pour remédier à cette situation, les communautés de pêche artisanale demandent la mise en place de chambres froides alimentées par électricité, telles que des réfrigérateurs solaires, afin de prolonger la conservation du poisson, de réduire les pertes et de stabiliser les revenus.

2. Quelle résilience face au changement climatique ?

Les témoignages des pêcheurs et des transformatrices de Gunjur et d’Old Jeshwang montrent que les changements climatiques transforment déjà les moyens de subsistance, les écosystèmes et la durabilité de la pêche artisanale en Gambie. Alors que les captures diminuent, que les sorties en mer s’allongent et que l’érosion côtière et les phénomènes météorologiques extrêmes s’intensifient, il devient urgent de renforcer la résilience des communautés côtières.

Pourtant, malgré ces défis, pêcheurs et femmes transformatrices mettent en place des stratégies pour limiter les impacts du changement climatique. Pap Jatta, de l’Association des pêcheurs de Gunjur, explique que « les associations environnementales locales multiplient les actions qui visent à planter des cocotiers le long du littoral de Gunjur pour réduire l’érosion », ajoutant que « comme les jeunes arbres ont souvent du mal à pousser durablement, ils doivent être replantés d’une années à l’autre ». Son association mène également des campagnes pour « sensibiliser les habitants à ne pas ramasser les coquillages, car ceux-ci contribuent à stabiliser les plages ». D’autres initiatives vont dans le même sens au niveau de la régénération des forêts de mangroves.

Pour limiter les pertes post-capture, les femmes transformatrices réutilisent les déchets de poisson : les écailles séchées servent d’aliment pour la volaille ou d’engrais pour les parcelles agricoles. Dans un article précédent, CAPE rapportait que des femmes du Libéria, de Sierra Leone, de Tunisie, de Gambie, du Mali et du Nigeria avaient collectivement décidé de cesser d’acheter et de transformer les juvéniles pêchés illégalement par les pêcheurs, soulignant que « la pêche illégale et la mauvaise gestion des ressources affectaient négativement leurs activités. »

Le gouvernement a également pris des mesures, explique Mme Choye, présidente de la NAAFO, en interdisant la pêche nocturne de mai à octobre, ce qui contribue au renouvellement des stocks. Dans le même sens, plusieurs organisations sous-régionales, en particulier la Commission sous-régionale des pêches (CSRP), dont la Gambie est membre, et le Comité des pêches du centre-ouest du golfe de Guinée (CPCO), s’appliquent à renforcer les mesures concertées entre pays voisins, telles que la mise en place de périodes de repos biologique harmonisées. Néanmoins, avant toute mise en oeuvre de période de fermeture de la pêche, les gouvernements doivent consulter les communautées de pêche artisanale pour en limiter les conséquences négatives, tels qu’une baisse des revenus ou des conditions de travail.

Comme le souligne aussi l’étude d’ICSF, « les pêcheurs et les communautés de pêche artisanale disposent de capacités limitées – en termes de connaissances, de ressources financières et techniques – pour mettre en place des stratégies transformatrices capables de relever les nombreux défis posés par le changement climatique ». Il est donc essentiel que le soutien financier du gouvernement et des donateurs internationaux fasse partie de la solution. L’étude recommande notamment que les communautés de pêche artisanale aient facilement accès à des stratégies d’adaptation abordables – comme la restauration des mangroves – ainsi qu’à un soutien financier, en particulier sous forme de crédits, afin de réduire les effets du changement climatique. Elle souligne enfin que les communautés locales doivent être pleinement reconnues et soutenues comme parties prenantes légitimes dans la cogestion de toutes les questions liées aux risques climatiques.




Photo de l’entête : un pêcheur prépare les pirogues avant de partir à la pêche sur le site de débarquement d’Old Jeshwang, en Gambie, par Margaux Rochefort.