Lorsque l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a adopté à Genève en 2022, son accord sur les subventions à la pêche, celui-ci a été salué comme une première étape vers la réduction des financements publics favorisant la pêche illégale et non durable.
Afin de réfléchir à la suite du processus, un webinaire a été organisé conjointement par la CAOPA, RiseUp, la coalition Stop Funding Overfishing et CAPE. L’événement a réuni une centaine de participants, parmi lesquels des représentants des communautés de pêche artisanale, des experts en politiques publiques et des membres de l’OMC. Les discussions ont porté sur la mise en œuvre de l’accord actuel, l’état des négociations à Genève et leurs implications concrètes pour les communautés de pêche artisanale, notamment en Afrique.
Le défi de concilier protection de la pêche artisanale et lutte contre la pêche non durable
Florencia Sarmiento et son collègue Tristan Irschlinger, de l’Institut international du développement durable (IISD), ont rappelé que les membres de l’OMC négocient actuellement de nouvelles règles visant à interdire les subventions qui favorisent la surcapacité et la surpêche. Dans ce cadre, certaines exemptions pour la pêche artisanale sont en discussion. Les subventions accordées aux flottes de pêche lointaine sont également à l’ordre du jour : elles seraient interdites sauf si des mesures efficaces de gestion des pêches sont mises en place pour ces flottes.
Sebastian Mathew, consultant indépendant et défenseur de longue date des droits des petits pêcheurs, a souligné l’importance des directives de la FAO visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale (VGSSF) dans le débat sur les subventions, rappelant que ces directives recommandent aux États d’éviter toute aide financière contribuant à la surcapacité et à la surexploitation. Il a précisé que, lors des négociations de l’OMC sur un traitement différencié pour la pêche artisanale, les exemptions aux règles sur les subventions devraient être limitées aux pêcheurs utilisant des engins non traînants qui exploitent généralement des navires de moins de 12 mètres, tandis que les chalutiers de fond devraient être exclus, quelle que soit leur taille. Il a également insisté sur la nécessité, pour tous les types de pêche, y compris artisanale et à petite échelle, de mettre en œuvre après une période de transition des mesures de conservation et de durabilité.
Lors des échanges qui ont suivi, une question a été soulevée concernant les subventions aux carburants pour la pêche artisanale, actuellement cruciales pour sa rentabilité, et leur traitement dans le cadre de la suppression progressive des aides pour les stocks surexploités. Sebastian Mathew a suggéré d’explorer des méthodes de pêche plus économes en carburant et a rappelé l’importance d’une gestion efficace des pêches pour déterminer la pertinence de ces subventions.
Au niveau national, la mise en œuvre de l’accord de l’OMC sur les subventions de la pêche pourrait servir à développer les initiatives vers une pêche durable, notamment les infrastructures de la chaîne du froid. Photo : au port de San Pedro (Côte d’Ivoire), les femmes de l'Union des Sociétés Coopératives des Mareyeuses et Transformatrices des Produits de la Pêche pose devant un conteneur frigorifique grâce auquel les pertes post-captures ont fortement diminué.
Jonathan Werner, du secrétariat de l’OMC et directeur du Fonds pour la pêche, qui aide les pays à mettre en œuvre l’accord sur les subventions, a indiqué que le fonds « fournit une assistance technique et des subventions pour le renforcement des capacités » et a récemment clôturé son premier appel à propositions, ayant reçu une centaine de candidatures.
Un premier pas, mais la route est encore longue
Dawda Saine, secrétaire général de la CAOPA, a rappelé aux participants que l’accord de 2022 concerne principalement les subventions liées à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), sans s’attaquer aux aides destinées à renforcer les capacités de pêche, telles que celles accordées pour la construction de navires ou l’accès des flottes d’eau lointaine d’Asie et d’Europe, qui continuent de perturber la pêche mondiale.
Ces subventions permettent aux flottes industrielles de rester actives bien au-delà des limites écologiques et économiques. Pour les États côtiers africains, elles entraînent une diminution des stocks de poissons dans les eaux côtières, une concurrence accrue des navires étrangers et une pression grandissante sur les communautés de pêche artisanale, en particulier les femmes travaillant dans la filière post-capture. Djalikatou Cherif Haidara, membre de la CAOPA en Guinée, a souligné que « tant que ces subventions néfastes persistent, nous perpétuons un système injuste où les flottes industrielles sont favorisées tandis que les petits pêcheurs perdent leur accès, leurs revenus et leur espoir ».
Une question d’équité
Ce déséquilibre est particulièrement marqué dans les opérations des flottes de pêche lointaine dans les eaux africaines. Selon CAPE, les négociations de l’OMC doivent reconnaître que la réforme des subventions ne peut être dissociée de la question de l’accès aux pêcheries. Réduire la surpêche implique de s’attaquer aux incitations qui permettent aux flottes de pêche lointaine d’exploiter les zones économiques exclusives africaines, souvent par le biais d’accords d’accès à la pêche (affrètement, sociétés mixtes), et de se retrouver en concurrence directe avec les pêcheurs artisans pour les mêmes ressources côtières. Dans ce contexte, le débat sur les subventions à la surcapacité dépasse l’aspect technique : il touche à la justice et à la souveraineté des États côtiers.
Au niveau national : comment la réforme des subventions peut bénéficier à la pêche artisanale
« Les hommes et femmes de la pêche artisanale doivent être reconnus comme des parties prenantes légitimes dans l’ensemble du processus pour la mise en œuvre de l’accord de l’OMC sur les subventions à la pêche et pour les négociations en cours visant à réduire les subventions qui favorisent la surcapacité et la surpêche. » »
Même si l’accord de l’OMC sur les subventions reste partiel, les gouvernements africains peuvent saisir cette opportunité pour commencer à réformer leurs propres systèmes de subventions. Comme l’a souligné Dawda Saine, la mise en œuvre nationale devrait viser à réorienter le soutien public vers une pêche durable, conformément à l’Appel à l’action de la pêche artisanale de 2022, en mettant l’accent sur la sécurité en mer, les infrastructures de la chaîne du froid, des installations résilientes au climat, ainsi que des systèmes de cogestion et de surveillance communautaire. Un tel soutien répondrait non seulement aux besoins immédiats des communautés, mais serait également aligné sur les Directives de la FAO pour une pêche artisanale durable, qui recommande des financements favorisant la durabilité, l’égalité des genres et la création de valeur ajoutée locale.
Transparence des subventions : quels bénéficiaires ?
L’un des thèmes récurrents du webinaire a été la nécessité d’une plus grande transparence et responsabilité. Si les gouvernements sont tenus de notifier leurs subventions à l’OMC, comme l’a souligné la CAOPA, « la transparence ne doit pas s’arrêter au bureau de l’OMC à Genève ». Les informations sur les subventions doivent également être partagées au niveau national, dans des formats accessibles et dans les langues locales, afin que les communautés côtières puissent demander des comptes aux responsables.
Une véritable transparence signifie que les communautés de pêche artisanale savent qui reçoit quoi et dans quel but. Elle permet à la société civile de vérifier si les fonds publics servent à renforcer les moyens de subsistance ou à soutenir des flottes qui épuisent les ressources. Selon Dawda Saine, « l’obligation faite par l’OMC de notifier les subventions doit devenir un outil de contrôle démocratique, et non une simple exigence bureaucratique ». Il a également proposé que « des comités nationaux de surveillance, impliquant les organisations de pêche artisanale et les associations de femmes, puissent contribuer à garantir la transparence et l’équité des réformes des subventions ».
À la table des négociations, pas au menu : les communautés de pêche artisanale exigent des règles plus ambitieuses de l'OMC en matière de subventions
La prochaine phase des négociations de l’OMC, qui portera sur les subventions favorisant la surcapacité et la surpêche, sera déterminante. L’OMC mettra-t-elle en place un système favorisant la durabilité et l’équité, ou un système qui légitime les anciennes injustices sous un nouveau nom ?
Comme l’a souligné Djalikatou Cherif Haidara dans ses conclusions, « l’accord de l’OMC sur les subventions à la pêche doit être ancré dans l’équité, en conformité avec les directives de la FAO visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale ainsi qu’avec les objectifs de développement durable ». Elle a exhorté les gouvernements à identifier et divulguer les subventions néfastes, à renforcer la transparence et à privilégier les systèmes alimentaires locaux plutôt que les exportations.
Elle a également appelé à assurer la participation des communautés de pêche artisanale aux négociations sur la surcapacité et la surpêche, en veillant à ce qu’elle soit réelle et significative. Madame Haidara continue : « la voie à suivre est claire : les hommes et femmes de la pêche artisanale doivent être reconnus comme des parties prenantes légitimes dans l’ensemble du processus, tant au niveau de l’OMC qu’au niveau national, pour la mise en œuvre de l’accord actuel sur les subventions à la pêche et pour les négociations en cours visant à réduire les subventions qui favorisent la surcapacité et la surpêche ».
Pour les communautés côtières, la crédibilité du processus de négociation de l’OMC sera finalement jugée sur la capacité de ces règles à garantir une pêche plus équitable et durable.
Photo de l’entête : une femme vend du poisson sur le marché de Bissau, en Guinée-Bissau, de Carmen Abd-Ali.


Les communautés de pêche artisanale dépendent de la côte et des eaux côtières pour leur subsistance. De nombreux pays africains reconnaissent désormais le rôle de la pêche artisanale dans la réalisation des objectifs climatiques et de biodiversité. L'UE devrait soutenir cette démarche en renforçant l'accès prioritaire et en finançant la cogestion dans les eaux côtières.