Aux Seychelles, les communautés de pêche artisanale misent sur la formation des femmes et de la jeunesse pour relancer le secteur

Aux Seychelles, les communautés de pêche artisanale s'inquiètent du vieillissement de leur population qui pourrait causer la disparition de la filière artisanale.

« Nos jeunes ne s’intéressent plus à la pêche, qu’ils jugent moins rentable que d’autres secteurs comme le tourisme », s'inquiète Nancy Ramkalawan-Onginjo, présidente de la SFBOA, la principale association de pêche artisanale du pays. Rodney Nicole, également membre du conseil d'administration de la SFBOA, souligne que la génération actuelle de pêcheurs, souvent peu éduquée du point de vue financier, doit « se battre pour maintenir son activité à flot ». Selon lui, les jeunes Seychellois, témoins des conditions de travail ardues de leurs aînés, ne voient pas d’avenir dans ce secteur : « Il est bien plus simple d’être skipper sur un yacht où le salaire est garanti que de passer deux ou trois jours en mer à pêcher. »

Pourtant, le tourisme, souvent présenté comme une voie d’avenir, ne tient pas toutes ses promesses auprès de la jeunesse seychelloise. Si le taux de chômage varie selon les saisons, une réalité persiste : celui des jeunes reste près de quatre fois supérieur à la moyenne nationale. Un paradoxe, alors même que cette génération est bien plus éduquée que la précédente. Selon le réseau panafricain qui mène des enquêtes d’opinion publiques, Afrobaromètre, cette situation s'explique par deux facteurs majeurs : un manque de diversification de l'économie, fortement centrée sur le tourisme, et une inadéquation entre les compétences des jeunes diplômés et les besoins du marché du travail.

Investir dans la formation des femmes dans le secteur de la pêche

Pourtant, les organisations de pêche artisanale seychelloises restent convaincues de l’avenir du secteur. Portées par une vision de croissance durable et de prospérité communautaire, elles ont donc développé un projet, soutenu par l'Autorité des pêches des Seychelles (SFA dans son acronyme anglais), visant à former les femmes artisanes au contrôle-qualité et aux normes d'hygiène dans le traitement du poisson, au marketing et au financement des activités pré-récolte et post-récolte, à la vente et à l'entrepreneuriat. Ce programme s’intitule « Seychelles fish business management » et s’étend sur une durée de huit mois. La formation combine six mois de cours théoriques suivis de deux mois de travaux pratiques.

Contrairement à d'autres pays africains où le rôle des femmes dans le secteur de la pêche est bien documenté, les femmes des Seychelles, bien qu'elles jouent un rôle important dans la transformation et la commercialisation de la filière de la pêche, restent totalement invisibles. Cela s'explique en partie par le fait que le gouvernement a systématiquement négligé les femmes dans les statistiques officielles : « Il n’existe aucune information ventilée par sexe sur les activités de pêche », reconnaît un rapport du ministère de la Pêche et de l’Économie bleue, publié en 2023. Le document souligne toutefois que « les femmes occupent également des fonctions cruciales au sein des instances techniques et administratives du secteur, notamment à la Seychelles Fishing Authority ainsi qu’au ministère. »

Rodney Nicole (à droite), pêcheur et membre du conseil d'administration de l'Association des pêcheurs et propriétaires de bateaux des Seychelles (SFBOA), a donné des cours de pédagogie aux 28 femmes participant au cours pilote « Gestion des pêches aux Seychelles ». Photo : avec l'aimable autorisation de la SFBOA.

Le rôle central joué par les femmes dans l’ensemble de la chaîne de valeur de la pêche s’est imposé sans plan d’action officiel. Une évolution « développée de manière organique », souligne ce même rapport avant de conclure qu’« il n’existe aucun programme spécifique visant à promouvoir les femmes dans le secteur de la pêche, et il convient d’y remédier. » Malgré ce constat, le ministère affirme avoir enregistré des « progrès » en matière d’équité.

Des progrès qui, en réalité, sont surtout le fruit de l’initiative des femmes elles-mêmes. C’est en prenant conscience du potentiel économique et social du secteur qu’elles ont commencé à s’organiser. En juin 2024, elles ont franchi une étape décisive en lançant la section seychelloise d’AWFishnet, la plateforme panafricaine dédiée aux femmes transformatrices et commerçantes de poisson. Elles ont ensuite obtenu le soutien du SeyCATT, du Fonds pour la conservation et l’adaptation au changement climatique des Seychelles, financé par l’Obligation Bleue des Seychelles, qui finance des projets innovants en lien avec la conservation marine et les modèles économiques durables.

« À ce jour, 28 femmes participent à la formation », indique Betty Mondon, coordinatrice du projet et présidente d’AWFishnet aux Seychelles. Parmi elles, seules un tiers sont déjà engagées dans le secteur, que ce soit dans la pêche, la transformation ou en tant que propriétaires de bateaux. Les autres viennent de parcours variés : « Certaines sont techniciennes à la Seychelles Fishing Authority (SFA), d’autres sont entrepreneuses, femmes de pêcheurs souhaitant se former, ou encore sans emploi et en quête de nouvelles compétences ».

Investir dès l’école

Mais les communautés de pêche artisanale des Seychelles envisagent les choses sur le long terme : « Si nous voulons former une nouvelle génération de pêcheurs, nous devons commencer dès l’école », affirme Rodney Nicole. La SFBOA, qui cherche à développer des initiatives pour susciter l’intérêt des jeunes, mise sur la sensibilisation dès l’école : « Autrefois, les pêcheurs emmenaient leurs enfants à bord pour une journée en mer. Mais aujourd’hui, avec la raréfaction du poisson, ils partent pêcher pendant quatre à cinq jours : ils ne peuvent plus emmener leurs enfants », explique-t-il.

Jim Meme (au centre, avec le t-shirt blanc), membre de l'Association des pêcheurs d'Anse Boileau, participe à une semaine d'orientation professionnelle dans une école afin de présenter les méthodes de pêche aux enfants d'âge scolaire. Photo : avec l'aimable autorisation de la SFBOA.

Jim Meme, membre de l’Association des pêcheurs d’Anse Boileau, participe à des semaines des métiers dans les écoles et performe des démonstrations de sécurité en mer, des sessions d’identification des espèces et des sorties éducatives en bateau. « Le problème, c’est que nous devons garantir la sécurité à bord, par exemple en fournissant des gilets de sauvetage aux participants », souligne à nouveau Rodney Nicole. « Et pour cela, nous avons besoin de fonds. » Il prend en exemple une formation qu’il a récemment animée dans le cadre du cours sur la gestion des pêches aux Seychelles : « À la fin de la session, les femmes ont reçu une ligne à main, des plombs et des hameçons. » Comme lui, de nombreux pêcheurs, dont Jim Meme, s’impliquent bénévolement, souvent sur leur temps libre et avec leurs propres moyens.

Créer les conditions favorables à l’épanouissement des jeunes du secteur de la pêche

Le secteur de la pêche artisanale aux Seychelles peine encore à attirer les jeunes... Si les associations locales redoublent d’efforts pour faire connaître leur métier, elles requièrent que les autorités entreprennent à leur tour des réformes structurelles qui garantissent des droits sociaux fondamentaux tels que l’accès à la santé, à l’éducation et à la protection sociale. Une avancée saluée par la profession concerne la mise en place d’un fonds de pension dédié aux pêcheurs. Mais pour Rodney Nicole, ce n’est qu’un début. « Notre indemnité de maladie s’élève à peine à 80 roupies [4,65 €] par jour », déplore-t-il. Il cite l’exemple de l’« indemnité pour intempéries » en vigueur à Maurice comme un modèle à suivre pour faire face aux aléas climatiques, « à condition que les bonnes mesures soient en place ».

De son côté, Nancy Ramkalawan-Onginjo insiste sur la nécessité de lever les obstacles à l’investissement pour les jeunes. Elle plaide en faveur d’une « facilitation de l’accès au crédit, sans lourdeurs administratives, afin que les jeunes puissent acquérir de meilleurs équipements de pêche et de sécurité ». La SFBOA évoque également l’importance d’investir dans des infrastructures résilientes au changement climatique, comme des usines de glace pour limiter les pertes après récolte et préserver la qualité du poisson en mer. Tous espèrent désormais que le gouvernement et les partenaires du secteur entendront leurs appels et agiront pour offrir aux jeunes des perspectives durables et décentes dans la pêche artisanale.

Photo de l’entête : des écoliers en sortie scolaire à bord du bateau de Jim Meme de l’association de pêcheurs Anse Boileau.