L’océan les unit : la pêche artisanale s’exprime d’une seule voix à UNOC 3

À l’heure où les océans sont au cœur des enjeux climatiques, économiques et sociaux, la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC3), qui s’est tenue à Nice (France) du 9 au 13 juin, a constitué un moment décisif pour orienter l’avenir de la gouvernance maritime mondiale.

Parmi les nombreuses voix qui vont façonner cet avenir, celles des communautés de pêche artisanale peinent encore à se faire pleinement entendre. Ces femmes et ces hommes, qui dépendent directement de la mer pour leur subsistance et jouent un rôle clé dans la gestion durable des ressources halieutiques, restent souvent en marge des décisions qui déterminent leur avenir.

Face à cette réalité, des représentant·e·s de la pêche artisanale d’Afrique, des Amériques, Asie, d’Europe et du Pacifique ont répondu présents à l’UNOC3. Conscients de la nécessité de faire entendre leur voix de manière autonome, ils ont organisé un événement parallèle intitulé « La pêche artisanale : au cœur de la gouvernance des océans et de la sécurité alimentaire ». Dans une atmosphère conviviale, ce groupe de 40 hommes et femmes de la pêche artisanale, venus de 25 pays et représentant quelque 12 millions d’acteurs du secteur, ont poursuivi le plaidoyer amorcé lors de la précédente conférence de Lisbonne en 2022, en s’appuyant sur l’Appel à l’action de la pêche artisanale et ont réaffirmé l’importance du rôle du secteur dans la gestion durable des océans et la lutte contre l’insécurité alimentaire, en s’appuyant sur une approche fondée sur les droits humains. De ces échanges riches sont nées plusieurs recommandations concrètes, que les participants ont également portées dans les autres espaces de dialogue de la conférence.

1. Garantir l’accès préférentiel des zones de pêche artisanale aux communautés côtières

« Les communautés de pêche artisanale doivent donc bénéficier d’un accès prioritaire aux zones côtières. Que les gouvernements cessent de traiter ces communautés comme des squatters sur leurs propres côtes. Nous avons besoin d’une reconnaissance légale de nos droits d’accès à la terre, à l’eau et aux ressources halieutiques. » »
— Raïssa Madou, transformatrice de poisson et mareyeuse, présidente de la coopérative de femmes "Faveur Divine"

L’événement coordonné par Rise up for the Ocean a réuni des responsables politiques et représentants de la pêche artisanale de pays d’Afrique et d’Asie qui partagent des exemples de retombées positives pour les communautés de pêche artisanale lorsque celles-ci ont un accès préférentiel garanti aux zones de pêche côtières et participent à leur cogestion.

Nancy Ramkalawan-Onginjo, présidente de la Seychelles Fishing Boat Owners Association (SFBOA), organisation membre de la Confédération africaine d’organisations professionnelles de pêche artisanale (CAOPA), a regretté que « ces zones soient souvent ignorées, non protégées, ou envahies par des navires industriels. Cette situation crée de l’injustice, détruit nos moyens de subsistance et les écosystèmes côtiers, et aggrave la pauvreté dans nos communautés. » Pourtant des solutions existent et passent nécessairement par l’inclusion de ces communautés. « En effet », a-t-elle continué « la cogestion renforce la transparence, réduit les conflits, et permet de prendre des décisions adaptées à la réalité du terrain, (…) elle est aussi un levier de justice sociale et d’efficacité, car elle donne une voix aux communautés de pêche artisanale, traditionnellement marginalisées ».

2. Garantir la participation des femmes et soutenir leur rôle dans l’innovation

Lors de la table ronde officielle concernant l’importance de l’alimentation durable issue des océans, Raïssa Nadège Leka Madou, a pu prendre la parole au nom de la CAOPA, qui bénéficie du titre d’observateur à l’UNOC3. Madame Madou est transformatrice de poisson et mareyeuse en Côte d’Ivoire, présidente de la coopérative ivoirienne « Faveur divine » qui est membre de l’union de coopératives de femmes transformatrices et mareyeuses de la Côte d’Ivoire. Dans son intervention, Madame Madou a mis en lumière les difficultés spécifiques rencontrées par les femmes du secteur :

« Chaque jour, elles luttent contre la fumée des fours, l’absence de chaîne du froid, la baisse des captures, avec toujours en tête l’avenir de leurs enfants. »

Raïssa Madou prend la parole à l’événement parallèle officiel de la pêche artisanale : « Dans plusieurs pays africains, les communautés de pêche qui gèrent leurs propres aires marines protégées ont vu les stocks de poissons se reconstituer. ». Photo : Mamadou Aliou Diallo.

Elle a rappelé que des solutions concrètes existent, comme les fours améliorés ou les espaces de stockage réfrigérés alimentés à l’énergie solaire. Elle a ainsi lancé un appel aux responsables politiques pour qu’ils soutiennent financièrement le travail des femmes, afin de leur garantir des conditions de travail dignes et de leur permettre de continuer à jouer un rôle essentiel dans la cohésion des communautés côtières.

À l’occasion d’un évènement concernant la justice océanique organisé à bord du navire de recherche allemand Meteor, Mercy Mghanga, présidente de l’Association Femmes et Entreprenariat dans la Pêche Côtière, a aussi souligné les préjudices autour du travail des femmes dans la pêche: « Nous, femmes mareyeuses et transformatrices, femmes dans la pêche, nous sommes perçues souvent comme n’ayant pas de connaissances ou d’études. Nous sommes souvent méprisées. Néanmoins, nous prouvons qu’ils ont tort : notre secteur peut être lucratif et nous garantir des moyens de subsistance », dit-elle, mais explicite que pour cela, il leur faut les bons soutiens politiques et financiers.

3. Impliquer systématiquement les professionnels de la pêche artisanale dans la gouvernance des océans

Durant la séance plénière, Sandrine Thomas, marin pêcheur à Royan (France), s’est adressé aux États membres de l’ONU à travers un discours vibrant :

«  Laissez nous être acteurs des décisions et des traités qui nous concernent. (…) Donnez nous l’opportunité de transmettre notre savoir faire aux jeunes filles et aux jeunes garçons. Nous avons espoir. L’espoir d’être écoutés. L’espoir d’être respectés. »

Lors d’une conférence de presse réunissant des représentants de la pêche artisanale venus de tous les continents, Papa Cá, président d’une association de pêcheurs en Guinée-Bissau, a souligné l’importance de reconnaître la pêche artisanale comme un acteur stratégique de la conservation. Il a toutefois insisté sur le fait que cet objectif reste hors de portée sans un soutien financier à l’ensemble de la chaîne de valeur, condition indispensable pour permettre à la pêche artisanale durable de prospérer et d’innover. Zoila Bustamente Présidente de l'Union latino-américaine des pêcheurs artisans (ULAPA) et de la Confédération nationale des pêcheurs artisans du Chili (CONAPACH),  a appuyé la déclaration de Monsieur Cá : 

« C’est pour cela que nous sommes ici ! Pour vous rappeler que nous faisons partie intégrante de ce que vous cherchez à préserver. Rien ne doit être décidé sans les communautés de pêche artisanale du monde entier. »

Accompagnés d’interprètres, les représentants de la petite pêche ont pu s'exprimer dans leur propre langue. La plupart des événements parallèles de l’UNOC3 n’étant qu’en anglais, cela exclu de facto les personnes qui ne le parlent pas. L’interprétation est un outil crucial pour des débats inclusifs. Photo : Conférence de presse des représentants de la pêche artisanale à l’UNOC3, par Mamadou Aliou Diallo.

La Mauritanie et la Commission Sous-Régionale des Pêches ont coorganisé un événement consacré au renforcement de la transparence dans la gouvernance des pêches, des zones côtières jusqu’en haute mer. Gaoussou Gueye, président de la CAOPA, y est intervenu pour aborder le rôle de la surveillance participative dans la lutte contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN). Il a ainsi appelé les États et les institutions internationales à intégrer pleinement les communautés de pêche artisanale « dès le début de la mise en œuvre des plans d’actions contre la pêche INN. » Les pêcheurs artisans peuvent jouer un rôle actif, mais pour cela la surveillance participative « doit s’accompagner d’un soutien concret et durable : un financement public pour ce type d’équipements, tels que des caméras infrarouges, des registres de captures, des systèmes de traçabilité adaptés. »

4. Valoriser les savoirs locaux et renforcer les capacités pour une cogestion durable

Lors de l’événement parallèle de la pêche artisanale, Gwen Pennarun, président de l’Association des pêcheurs à la ligne de la Pointe de Bretagne et de LIFE (Low Impact Fishers Of Europe), la plateforme européenne des petits pêcheurs à faible impact, a souligné que les petits métiers, grâce à leur ancrage local, leur observation du terrain et leur lien étroit avec la mer, apportent souvent des solutions concrètes et durables aux défis actuels. Il a mis en lumière le rôle que pourrait jouer la cogestion en s’appuyant sur les savoirs empiriques et traditionnels des pêcheurs, comme le montrent déjà plusieurs exemples en Europe. Il a cependant regretté l’absence de volonté politique pour établir un cadre législatif permettant de développer cette approche.

À bord du Meteor, des hommes et des femmes de la pêche artisanale ont été plusieurs fois invités à s’exprimer lors d’événements sur les systèmes alimentaires aquatiques essentiels à la sécurité alimentaire. Photo: une maquette du navire Meteor, par Mamadou Aliou Diallo.

À bord du navire de recherche allemand Meteor, l’agence de développement allemande (GIZ) a coordonné un évènement parallèle sur les liens à établir entre la science, les politiques et la société pour une gestion durable des océans en Afrique de l’Ouest. Gaoussou Gueye a réaffirmé l'importance d'intégrer l'expertise pratique des pêcheurs : 

« Un pêcheur peut savoir quel poisson a mordu la ligne seulement par la façon de tirer. Aucun scientifique n’est capable de faire cela ».


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Somme toute, cette semaine intense a été marquée par un engagement fort de la pêche artisanale. L’Appel à l’action de la pêche artisanale constitue toujours un document pilier et appelle les gouvernements à élaborer des plans d’action nationaux ambitieux, en ligne avec les Directives volontaires de la FAO pour une pêche artisanale durable et l’objectif 30x30 de protection des océans. Ce cap a été confirmé par la déclaration politique finale de l’UNOC3, qui encourage la mise en place de systèmes de gestion participative.

Un signal fort renforcé par les mots du Dr. Paubert Mahatante Tsimanaoraty, ministre de la Pêche et de l’Économie bleue de Madagascar, qui a salué « l’évènement le plus intéressant et dynamique de toute cette conférence » et exhorté les États à passer à l’action. Le message est clair : il est temps de transformer l’élan politique et collectif en engagements concrets. La pêche artisanale doit être au cœur d'un avenir durable pour les océans.

Photo de l’entête : Gaoussou Gueye, Président de la CAOPA prend la parole pendant l’événement parallèle de la pêche artisanale, par Mamadou Aliou Diallo.