Accord OMC sur les subventions à la pêche : une souris est née

Une des principales menaces pour l’avenir de la pêche artisanale en Afrique, c’est la surcapacité et la surpêche de navires industriels d’origine étrangère, accédant aux eaux africaines par le biais de divers types d’arrangements.

La surcapacité et la surpêche n’ont pas été traitées dans l’accord sur les subventions à la pêche atteint en juin dernier, après 20 ans de négociations, à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les membres de l’OMC se sont encore réunis la semaine dernière à Évian-les-Bains pour « penser de façon créative » à comment démarrer la « deuxième vague de négociations ». Il est impératif que, d’ici la prochaine conférence ministérielle (MC13), les membres de l’OMC négocient de nouvelles disciplines pour lutter contre les subventions provoquant la surcapacité et la surpêche, en particulier les subventions accordées aux bateaux d’origine étrangère.

La montagne enfanta une souris…

En 2001, l’OMC recevait de la part des états membres, un mandat novateur : améliorer les disciplines sur les subventions mentionnant spécifiquement la pêche comme un secteur important à traiter. Au fil des années, le mandat a été précisé : aborder la question de la surpêche et de la surcapacité ainsi que le traitement spécial et différencié (TSD) pour les pays membres en développement et les pays moins avancés (PMA). En 2015, la signature d’un accord a été ajoutée aux objectifs de développement durable, qui, dans son ODD 14.6 appelait à « éliminer les subventions qui contribuent à la surpêche, à la surcapacité ou aux pratiques de pêche illégale, non déclarée et non règlementée (INN) ».

Vingt-et-un ans après, en juin 2022, un accord a été annoncé en grande pompe qui incluait, un premier paquet de disciplines pour les subventions à la pêche. L’ambassadeur Santiago Wills qui avait présidé aux négociations jubilait, deux semaines plus tard, à la deuxième Conférence des Océans des Nations Unies à Lisbonne, en insistant sur la réalisation d’une des cibles de l’ODD 14 « Vie aquatique ». Encore faut-il que deux tiers des membres de l’OMC, c’est-à-dire 110 des 164 membres, notifient leur acceptation de l’accord obtenu en juin pour que celui-ci entre en vigueur. Mais il faut, aussi, un accord plus ambitieux pour lutter contre la surpêche et la surcapacité.

L’accord de juin inclut l’interdiction des subventions à des navires qui pratiquent la pêche INN (article 3), à ceux qui pêchent des stocks surexploités (article 4) ainsi que pour la pêche en haute mer en dehors des ORGP (article 5.1). Il demande aussi aux membres de « faire preuve d’un soin particulier » et de « modération » pour les navires ne battant pas leur pavillon ou pour les stocks dont l’état de santé est inconnu. L’accord présente des obligations de transparence et de notification tous les deux ans fort exigeantes, sauf pour les pays en développement et les Pays les Moins Avancés (PMA) dont la part annuelle du volume mondial de captures ne dépasse pas 0,8%, qui pourront, eux, notifier tous les 4 ans.

Les pays en développement et les PMA, y compris la Chine, ont une période de grâce de deux ans pour les premières deux disciplines des subventions. La déclaration ministérielle décide aussi que « le groupe de négociation […] poursuivra les négociations », en prenant compte du TSD, « sur la base des questions en suspens […] [pour] obtenir un accord complet, […] d’autres disciplines sur certaines formes de subventions qui contribuent à la surcapacité et la surpêche ».

En Septembre dernier, nous nous posions la question de savoir si, lorsqu’il s’agissait « de discipliner efficacement les subventions d’une manière qui permette de respecter les engagements des ODD, la montagne de l’OMC donnera-t-elle naissance à une souris ou à un lion ? » Photo: Capture d’écran du film Disney Les aventures de Bernard et Bianca.

Ne sont pas concernés par l’accord les investissements publics pour les infrastructures de pêche, les accords de pêche entre gouvernements, ni les subventions dites « non-spécifiques » comme la détaxation du carburant – à la grande déception de nombreuses ONG environnementales qui ont milité contre la détaxation du carburant depuis deux décennies. Ces trois cas de figure ne seront pas revus dans les futures négociations.

En Septembre 2021, nous nous posions la question de savoir si, lorsqu’il s’agissait « de discipliner efficacement les subventions d’une manière qui permette de respecter les engagements des ODD, la montagne de l’OMC donnera-t-elle naissance à une souris ou à un lion ? » Du point de vue de la pêche artisanale africaine, bien qu’il y ait des avancées, comme la prohibition des subventions pour les pêcheries de stocks surexploités, l’accord ne traite toujours pas de la présence de flottes d’origine étrangère dans les eaux africaines qui concurrencent la pêche artisanale pour l’accès aux ressources, et aussi, dans le cas des chalutiers côtiers, détruisent les engins de pêche des pêcheurs artisans et provoquent des collisions, parfois mortelles.

D’abords les bonnes nouvelles…

La prohibition des subventions concernant les stocks surexploités (article 4) est une bonne nouvelle pour la pêche artisanale. Par exemple, en Afrique de l’Ouest, les stocks partagés de sardinelles, aliment de base des populations de la région, sont fortement surexploités, notamment pour la production d’huile et de farine de poisson. La rareté des sardinelles dans les eaux ouest africaines et sur les marchés met à mal les emplois de milliers de pêcheurs artisans et de femmes transformatrices. Cette discipline est donc bienvenue pour contribuer à la réalisation des ODD, en particulier la sécurité alimentaire (ODD 2 « un monde sans faim ») et les moyens de survie (ODD 8 « plein emploi et travail décent ») des communautés côtières en développement, et l’« accès aux ressources et aux marchés pour la pêche artisanale » (ODD 14b).

La prohibition de subventions aux flottes d’origine étrangère qui pêchent les sardinelles en Afrique de l’Ouest (Turquie, Chine, Russie et pays membres UE), pourrait aider à diminuer la pression sur la ressource. Photo: Capture d’écran du film Disney Cendrillon.

La surexploitation des ressources de sardinelles en Afrique de l’Ouest n’est pas nouvelle. Le Comité des Pêches pour l’Atlantique Centre-Est (COPACE) conseille depuis des années de diminuer l’effort de pêche de 50% ou plus. Cependant, la mise en œuvre de mesures de gestion dépend de l’accord entre plusieurs pays côtiers, - en particulier la Mauritanie, le Sénégal et la Gambie-, qui partagent les stocks de petits pélagiques, un processus qui stagne depuis longtemps en partie à cause d’un manque de volonté politique. Le développement de l’industrie minotière dans la région n’a fait qu’aggraver le problème, avec des flottes d’origine étrangère, surtout chinoises et turques, déversant des tonnes de petites pélagiques sans ménagement, y compris des sardinelles surexploitées, dans les usines de farine et d’huile de poisson.

En l’absence de mesures de gestion concertées entre ces pays, la prohibition de subventions aux flottes d’origine étrangère qui pêchent les sardinelles dans la région (Turquie, Chine, Russie et pays membres UE), pourrait aider à diminuer la pression sur la ressource.

…et puis les mauvaises

En Afrique, la pêche industrielle est pratiquée essentiellement par des navires originaires de pays identifiés comme les « principaux fournisseurs de subventions dommageables » : la Chine, le Japon, la Corée, la Russie et des états membres de l’UE. Dans de nombreux cas, ces flottes ciblent des ressources de pêche en compétition directe avec la pêche artisanale. Ces flottes accèdent aux eaux africaines par le biais d’accords de pêche, par des licences privées ou bien par l’affrètement ou le changement de pavillon, souvent dans le cadre d’une société mixte (société locale à capital étranger). Lorsque que le bateau prend le pavillon du pays côtier où il opère, il est alors considéré comme national.

Par exemple, en Côte d’Ivoire, en mars 2021, il y avait 55 navires exploités par des sociétés locales mais dont les gestionnaires étaient chinois – soit des navires affrétés, soit « ivoirisés » (changement de pavillon). L’« ivoirisation » confère des avantages à l’armateur, et de plus, les conditions pour changer le pavillon des navires sont rarement respectés, ces sociétés bénéficiant de dérogations systématiques.

Dans les prochaines négociations, il faut absolument traiter les subventions à la surpêche et à la surcapacité accordées aux bateaux d’origine étrangère, y compris re-pavillonnés dans un pays en développement, en prenant garde aux failles dont ils pourraient profiterdans le cadre du traitement spécial et différencié (TSD). Photo: Capture d’écran du film Disney Le Roi Lion.

Un autre exemple, aussi, à Madagascar. En novembre 2020, nous avons dénoncé la signature de deux accords de pêche avec des investisseurs chinois. Ils permettaient à plus ou moins 30 navires à passer sous pavillon national et leur concédaient des licences multi-espèces qui les exemptaient de règlementation et de la gestion de certaines espèces à haute valeur commerciale, notamment la crevette – l’or rose de la grande île de l’Océan indien.

Dans la dernière proposition d’accord sur les subventions, un article, qui a disparu depuis, abordait les questions de surcapacité et surpêche par des bateaux re-pavillonnés, en proposant que : « Aucun membre n’accordera ni ne maintiendra de subventions à un navire ne battant pas le pavillon du membre qui accordera la subvention ». Ce point a été repris mais en version « décaféinée » dans l’accord de juin : « un membre fera preuve d’un soin particulier » et de « modération lorsqu’il accordera des subventions à des navires ne battant pas son pavillon ».

Il faut absolument que la suite des négociations traitent les subventions à la surpêche et à la surcapacité accordées aux bateaux d’origine étrangère, y compris re-pavillonnés dans un pays en développement ou PMA, en prenant garde aux failles dont pourraient profiter ces navires dans le cadre du traitement spécial et différencié (TSD). Dépendant de comment ce TSD sera abordé, de nombreux navires re-pavillonnés dans le pays côtier où ils opèrent, donc sous régime national, concurrençant la pêche artisanale, pourraient échapper à une grande partie des disciplines sur les subventions. Ceci serait néfaste pour la pêche artisanale africaine.

La pêche artisanale a « mangé du lion » : quel investissement public demande-t-elle pour le développement durable de ses activités ?

En juin dernier aussi, pendant que l’ambassadeur Wills présentait l’accord obtenu en salle plénière de la Conférence sur l’Océan à Lisbonne, des pêcheurs artisans et femmes transformatrices, venus de cinq continents présentaient des demandes concrètes à leurs gouvernements, y compris en termes d’investissements de fonds publics, pour que l’ODD 14b soit atteint d’ici 2030.

Pour eux, les fonds publics, les subventions, doivent être investis dans les services et infrastructures pour améliorer les conditions de travail et de vie des communautés côtières – surtout celles des femmes transformatrices de poisson, comme par exemple l’accès à l’eau potable, à l’électricité et des installations d’égouttage sur les sites de transformation.

Pour les hommes et les femmes dans la pêche artisanale africaine, les fonds publics doivent être investis dans des services et infrastructures qui améliorent leurs conditions de vie et de travail et permettent un développement durable de leurs activités. Photo: Capture d’écran du film de Disney Le Roi Lion.

Dans son Appel à l’action, la pêche artisanale demande ainsi aux gouvernements de soutenir  des communautés de pêche artisanale résilientes, pour qu’elles puissent « jouer efficacement leur rôle clé de gardiens de l'océan et en tant que contributeur à la sécurité alimentaire et la nutrition ». Pour cela, il faut des investissements efficaces dans, par exemple, le développement de plans de cogestion, comme la surveillance participative ; financer adéquatement l’application de la réglementation environnementale en amont de la concession de nouvelles utilisations des océans de la part d’industries de l’économie bleue ; améliorer la collecte et diffusion de données sur le secteur ; ou bien investir dans des initiatives qui rendent les communautés plus résilientes, comme réduire les pertes après capture ou des alternatives d’approvisionnement pour les femmes transformatrices.




Photo de l’entête: Capture d’écran du film Disney Ratatouille.