Quelle cogestion pour la pêche artisanale en Afrique de l’Ouest ?

Par hugh Govan

Hugh Govan a grandi à Estepona, un village de pêcheurs en Espagne, et travaille sur la cogestion, la pêche à petite échelle et les communautés côtières dans les îles du Pacifique, en Amérique latine et en Europe.

Dans cet article, reconnaissant que l'Afrique de l'Ouest a été pionnière pendant des décennies en matière de réforme de la pêche artisanale, Hugh Govan examine les principaux obstacles à la cogestion dans la région. Citons un manque de volonté politique, qui se traduit par de faibles allocations budgétaires ; un soutien insuffisant et mal ciblé aux organisations de pêche ; les rôles et les responsabilités des communautés de pêche restent mal définis dans la cogestion ; le non-respect des zones exclusivement réservées à la pêche artisanale ; et une défense inadéquate des droits humains et en particulier du rôle important des femmes dans la pêche artisanale.

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Depuis des temps immémoriaux, la relation entre l'humain et la mer a consacré la pratique de la pêche qui, jusqu'à une période relativement récente, a toujours plus ou moins impliqué les mêmes techniques artisanales.

L'avènement de la pêche industrielle coïncide avec la création de grands navires coûteux capables de parcourir de longues distances et de pêcher de très grandes quantités de poisson. Ces éléments ont changé la donne, mais la pêche artisanale représente encore 40 % des prises mondiales de la pêche maritime et continentale, une proportion qui atteint 66 % en Afrique et plus de 80 % dans les pays les moins développés.

Au niveau mondial, la pêche artisanale emploie plus de 90 % des pêcheurs et 492 millions de personnes dépendent, au moins partiellement, de celle-ci pour leurs moyens de subsistance et leur sécurité alimentaire et nutritionnelle. Malgré leur nombre et le fait qu’ils soient des usagers importants des océans, les communautés de pêche artisanale ont été négligées par les responsables politiques et les gouvernements et ce n’est que récemment qu’elles ont commencé à recevoir la reconnaissance qu’elles méritent.

ENCADRé 1 : un appel à l’action de la pêche artisanale

1. Garantir d’urgence un accès préférentiel et cogérer 100% des zones côtières

2. Garantir la participation des femmes et soutenir leur rôle dans l’innovation

3. Protéger la pêche artisanale des secteurs concurrents de l'économie bleue

4. Faire preuve de transparence et de redevabilité dans la gestion de la pêche

5. Des communautés résilientes face au changement climatique et des perspectives à la jeunesse

La pêche artisanale bénéficie désormais d’un plus grand soutien politique au niveau mondial, notamment par le biais des Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté (Directives sur la pêche artisanale) et des Objectifs de développement durable (ODD 14.b). Ces engagements ont été soulignés dans le Cadre politique et la stratégie de réforme pour la pêche et l’aquaculture en Afrique (UA-NEPAD 2014).

La pêche artisanale a, par ailleurs, alerté sur les problèmes qu’elle rencontre et sur les actions nécessaires à entreprendre, notamment par le biais de l'Appel à l'action de la pêche artisanale (voir l'encadré1 ci-contre).

1. Les droits fonciers et la cogestion : pivots de la pêche artisanale

Les engagements internationaux, en particulier les Directives volontaires et les appels à l’action de la pêche artisanale, couvrent une série de droits humains et de garanties de protection et de bonne gouvernance. Parmi ces droits, deux d’entre eux garantissent une bonne gestion de la pêche artisanale :

  • L’assurance de la jouissance de droits fonciers sur les ressources sur lesquelles reposent essentiellement le bien-être social et culturel, les moyens d’existence et le développement durable des communautés de pêche artisanale.

  • La participation à la gestion qui vise à favoriser l’autonomisation des communautés de pêche, afin que les personnes – hommes et femmes – qui les composent participent à la prise de décisions et assument des responsabilités pour une exploitation durable des ressources halieutiques.

Les droits fonciers permettent aux communautés de pêche d’accéder aux ressources dont elles dépendent et de participer à leur gestion, et la nécessité de protéger leurs droits à un accès préférentiel aux zones et aux ressources de pêche traditionnelle est reconnue depuis longtemps (art. 6.18 du Code de conduite pour une pêche responsable de la FAO, 1995). La participation à la gestion peut prendre la forme d'un partenariat entre le gouvernement et les communautés de pêche locales ainsi que d'autres groupes qui partagent la responsabilité de la prise de décision dans la gestion de la pêche ; c'est ce qu'on appelle la cogestion.

Sur le papier, la mise en œuvre nationale des dispositions relatives aux droits fonciers a progressé et semble même s'intensifier. Récemment, la FAO, l’université de Duke et WorldFish ont réalisé une vaste étude « Illuminating Hidden Harvests » (IHH), qui a révélé que les zones d'accès préférentiel pour la pêche artisanale maritime (où la pêche industrielle et certains types d'engins sont limités) tendent à se développer : 9 des 16 pays d'Afrique de l'Ouest ont désigné de telles zones, bien qu'elles ne représentent qu'une proportion relativement faible du plateau continental.

La même étude révèle que les droits de gestion des pêches sont au moins partiellement dévolus aux communautés de pêche dans une proportion de plus en plus importante de pays (75 %) qui équivalent à un tiers des captures mondiales de la pêche artisanale. Des dispositions formelles de cogestion existent pour des pêcheries qui produisent environ 40 % des captures de la pêche artisanale. Cependant, sur le terrain, un niveau élevé de participation des communautés de pêche a été estimé pour des pêcheries qui représentent seulement 12 % des captures de la pêche artisanale en Afrique, 15 % en Asie et 19 % en Amérique du Nord et du Sud.

2. De la politique à la mise en œuvre : nouveaux enjeux

À première vue, les données disponibles sur la cogestion s’avèrent encourageantes puisqu’elles révèlent la réalisation de progrès en matière d’adoption de politiques. Cependant, ces données suggèrent également qu’il existe un fossé entre le discours et l’action, la politique et sa mise en œuvre. Une bonne mise en œuvre des politiques est essentielle pour que les droits de la pêche artisanale ainsi que la cogestion permettent d'obtenir des résultats sociaux et écologiques importants, tels que la sécurité alimentaire et la nutrition, la réduction de la pauvreté et la conservation de l'écosystème côtier.

Deux pays sont pionniers en matière de politique relative à la cogestion dans la pêche artisanale et leurs cas illustrent les nouveaux défis liés à la cogestion.

Sénégal

Depuis près de deux décennies, le Sénégal développe une approche de la cogestion et légifère en faveur d’une implication des organisations des professionnels de la pêche, des communautés de pêche et de tous les autres acteurs concernés. Le gouvernement a créé une Division de pêche artisanale qui met en place et finance des Conseils locaux de pêche artisanale (CLPA) destinés à consulter et représenter les protagonistes de la pêche artisanale locale dans la cogestion. Par ailleurs, une Commission consultative d’attribution des licences de pêche (CCALP) a été créée et inclut deux représentants des propriétaires de navires industriels et un représentant de la pêche artisanale.

Ghana

La loi sur la pêche (2002) prévoit plusieurs dispositions destinées à soutenir la pêche durable, notamment une zone d’exclusion côtière (ZEC) qui exclut les grands navires semi-industriels ou les navires de pêche industrielle du littoral jusqu'à 6 milles nautiques ou jusqu'à l'isobathe 30 mètres (selon ce qui est le plus éloigné), avec quelques exceptions près. La création des Comités de gestion communautaire des pêches (CBFMC) remonte à 1997. Ils ont été conçus comme une forme d’organe consultatif de cogestion, mais auraient eu besoin d’un soutien accru pour réaliser leur potentiel. Le gouvernement, conscient des défis à relever, a proposé en 2020 une nouvelle politique de cogestion qui s'appuie sur des comités de cogestion à petite échelle (Small-scale Co-Management Committees).

A) SOUTIEN INSUFFISANT AUX ORGANISATIONS COMPÉTENTES DE COGESTION DE LA PÊCHE

Au Sénégal, les organisations de pêche artisanale s’attendaient à être les protagonistes principales de la cogestion. Cependant, les CLPA sont considérées comme dysfonctionnelles et manquent de crédibilité au niveau local (ce qui est peut-être partiellement dû au fait que leurs assemblées ne sont pas représentatives) et au niveau de leur fonctionnement en termes de renouvellement des responsables ou de régularité des réunions. Ils entrent souvent en conflit avec les organes traditionnels de régulation sociale tels que les groupements d'intérêt économique (GIE) qui gèrent les sites lucratifs de débarquement du poisson, ce qui se traduit parfois par de violents conflits sociaux entre les gestionnaires des CLPA et les communautés de pêche qui ont du mal à reconnaître la légitimité de ces organes. Ce qui n'est pas clair, c'est si les effets de l'imposition de ces organisations par le haut peuvent être améliorés par des réformes. Cela pourrait se traduire par une meilleure intégration  au sein des CLPA des GIE ou des regroupements d’organisations de pêche artisanale indépendantes sous le CONIPAS, ce qui, comme Paula Kadja Traoré l'a rapporté, s'est produit au CLPA de Kayar.

Les structures de cogestion créées par le gouvernement peuvent se heurter à des problèmes de légitimité. Par exemple, au Sénégal, ce sont les GIE (groupement d'intérêt économique) qui gèrent généralement les sites de débarquement. Cela peut entraîner des conflits avec les CLPA (« Conseils locaux de pêche artisanale"), mis en place par le gouvernement. Photo : le site de débarquement de Kafountine (Casamance, Sénégal), par l'Agence Mediaprod.

Au Ghana, les institutions locales de cogestion doivent faire face à une absence chronique de soutien institutionnel, administratif et financier. Les CBFMC manquent de clarté dans la définition de leurs rôles, de leurs compétences, de leurs lignes directrices ainsi que d’un soutien financier et d’une volonté politique. Il en résulte de lourdes conséquences pour certaines fonctions clés, telles que la surveillance et l’application de la loi, qui devraient pourtant s’appuyer sur un contrôle et une surveillance participatifs.

Depuis au moins plusieurs décennies, la surveillance participative est vantée en Afrique de l'Ouest, même si la plupart des pays ne l’ont pas définie légalement et qu’elle manque généralement de soutien logistique et financier. La contribution de la surveillance participative dans la lutte contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) risque d’être limitée. En effet, elle nécessiterait, d’une part, que les pêcheurs soient dotés d'équipements leur permettant d'informer directement les autorités d'activités suspectes et, d’autre part, que les rôles et des responsabilités des communautés de pêche et des autorités soient clairement définis, comme l’a indiqué Gaoussou Gueye, Président de la Confédération africaine des organisations de pêche artisanale.

B) CONTRAINTE DE LA MISE EN ŒUVRE POUR LA PÊCHE ARTISANALE

Lorsque la mise en œuvre des mesures de gestion affecte le plus négativement la pêche artisanale, c'est d'autant plus injuste que le problème principal vient de la surcapacité du secteur industriel. Par exemple, 81 % des forces vives de la pêche artisanale du Ghana vivent uniquement de la pêche et ne bénéficient d’aucune autre source de revenu pendant la période de fermeture de la pêche. Les tentatives du gouvernement pour atténuer l'impact de la saison de fermeture de la pêche, en distribuant notamment 15 000 sacs de riz et de l’huile de cuisson, constituent une réponse louable. Toutefois, la mise en œuvre de ces mesures devrait se faire avant la saison de fermeture et devrait satisfaire les besoins de près de 3 millions de personnes qui dépendent de la pêche artisanale pour leur subsistance.

La bureaucratie engendre d’autres types de contraintes, telles que le manque de conseils et de soutien concernant la mise en œuvre de l’identification des navires de pêche artisanale ou le marquage des engins de pêche au Ghana. En plus de moyens de subsistance qui varient de jour en jour, et des journées de travail laborieuses, les communautés de pêche artisanale risquent de ne pas avoir le temps et les fonds nécessaires à une charge administrative croissante.

C) INCAPACITÉ DU GOUVERNEMENT À CONTRÔLER UN SECTEUR INDUSTRIEL EXTRÊMEMENT NUISIBLE

L'octroi de licences est l'un des principaux outils à disposition des gouvernements pour réguler la pêche industrielle. Cependant, le Sénégal accorde des licences à des navires industriels pour des ressources surexploitées et à des navires étrangers qui concurrencent directement la pêche artisanale, et ce, en dépit des avis négatifs rendus par le Comité Consultatif d'Attribution des Licences de Pêche. Même si le Ministre chargé de la pêche a le dernier mot, il est censé tenir compte de l'avis de ce comité consultatif.

Les incursions de chalutiers, souvent d'origine étrangère, constituent l'une des plus grandes menaces pour les pêcheurs artisans : le risque de collision et de destruction des engins de pêche est élevé. En Afrique de l'Ouest, plus de 250 décès de pêcheurs artisans sont liés à des collisions avec des navires industriels. Photo : chalutiers étrangers amarrés dans le port de Bissau, par une source locale.

Au Ghana, l'absence de mesures coercitives de la part du gouvernement favorise la poursuite d’activités illégales des navires de pêche industrielle titulaires d'une licence dans la zone d’exclusion côtière (par exemple, l'utilisation de lumières, les incursions de chalutiers) ainsi que la vente et le transbordement à des pirogues de pêche locales des prises de petits pélagiques effectués par les chalutiers. Les pêcheries industrielles ne sont pas les seules à réclamer une mise en œuvre des lois de la part du gouvernement : au Sénégal, les CLPA adoptent des règlements locaux et tentent de les faire appliquer au même titre que les lois nationales. Dans le cas de l'interdiction nationale d'utiliser des monofilaments pour la pêche, les pêcheurs de Kayar ont payé un lourd tribut, avec plus de 40 blessés et un mort, en essayant de faire respecter l'interdiction de ce qu'ils considèrent comme une pratique destructrice utilisée par d’autres pêcheurs. Jusqu'à présent, le gouvernement n'a pas été en mesure de faire respecter l'interdiction ou de prévenir de tels conflits et leurs conséquences tragiques.

D) SURVEILLANCE PARTICIPATIVE : MANQUE DE SOUTIEN GOUVERNEMENTAL

On attend généralement des pêcheurs qu'ils surveillent et signalent les infractions aux règles nationales et locales en matière de pêche. Au Ghana, la mise en œuvre de ces pratiques relève de l’impossible dans la mesure où les communautés de pêche reçoivent un soutien administratif et financier minimal de la part du gouvernement. Au Sénégal, une codification du statut de « surveillant-pêcheur » a été entamée dès 2012, pour autant celle-ci n’a pas été finalisée et ne bénéficie à l’heure actuelle d’aucune direction claire et d’aucun soutien financier. Citons notamment le manque de vedettes pour la surveillance, le fait que les communautés de pêche fournissent leur propre carburant, et l'absence de réaction des autorités en termes d’application de la loi. Cela signifie que les communautés locales qui tentent de défendre la durabilité de leur pêche le font à leurs propres frais et en prenant des risques considérables.

E) PARTENARIAT DÉSÉQUILIBRÉ : LES COMMUNAUTÉS DE PÊCHE ARTISANALE ONT-ELLES VOIX AU CHAPITRE ?

Les communautés de pêche signalent que leurs contributions ne sont que rarement prises en considération et que les gouvernements ne font pas appliquer la loi et ne garantissent pas leur engagement auprès du secteur de la pêche artisanale. Plusieurs éléments contribuent à rompre la confiance entre les usagers des ressources et les fonctionnaires. En effet, les gouvernements, d'une part, ne donnent pas suite aux avis des scientifiques et de la pêche artisanale émis au cours des comités d'attribution des licences et, d'autre part, ne tiennent pas compte des inquiétudes de la pêche artisanale en ce qui concerne le développement d'autres activités économiques « bleues » dans la région, telles que l'exploration pétrolière et gazière. Certains observateurs pensent qu'en l'absence d'une transparence accrue, d'un dialogue fécond avec le gouvernement et de solutions concrètes en matière de moyens de subsistance durables, les communautés de pêche artisanale pourraient se retourner contre certaines mesures, telles que la fermeture de la saison de la pêche au Ghana.

F) QU’EN EST-IL DES FEMMES ?

La situation actuelle du secteur de la pêche artisanale en Afrique a probablement les impacts les plus profonds sur les femmes qui, malgré leur rôle vital reconnu dans la production, la transformation et la gouvernance, ont tendance à être sous-représentées et limitées dans leur participation au sein du secteur. Les femmes jouent un rôle essentiel : elles financent les sorties de pêche, transforment les matières premières, créent de la valeur ajoutée, limitent les pertes post-capture et assurent le transport et l’approvisionnement de protéines animales à des prix abordables aux populations du Sénégal et de l'Afrique de l'Ouest. Les femmes font face à la concurrence pour les terres qu'elles utilisent, pour leurs activités, et dans des pays comme le Sénégal, la Guinée, et la Gambie même lorsque la loi garantit formellement ces droits, les femmes ont déjà fait l’objet de menaces, en particulier si aucun soutien gouvernemental n’est prévu pour garantir l’application de la loi.

Les femmes sont présentes à tous les stades de la chaîne de valeur des produits de la pêche en mer et constituent le maillon essentiel de l'acheminement du poisson jusqu'aux consommateurs. Cependant, leur travail n'est pas reconnu et leurs conditions de travail et de vie sont désastreuses. Photo : Une femme transformatrice de poisson devant son séchoir à Cacheu (Guinée-Bissau) par Carmen Abd Ali.

Les femmes ont de plus en plus accès au crédit par le biais d’associations et de mutualités de crédit, mais encore plus que les hommes, elles font face au manque d’infrastructures et de transports, ce qui génère davantage de pertes post-capture et limite les opportunités en termes de production de valeur ajoutée. Compte tenu de la situation actuelle, notamment de leur participation minoritaire dans le processus de gestion de la pêche, les femmes seront les premières à subir de plein fouet l’épuisement des ressources halieutiques sur leurs nombreuses activités.

3.    Priorités de mise en œuvre de la cogestion

Tant les exemples présentés ci-dessus que la littérature qui se développe rapidement sur le sujet aux niveau mondial et africain semblent indiquer un besoin de déterminer les priorités pour améliorer et accélérer la mise en œuvre de la cogestion en Afrique.

Tout d’abord, clarifions le concept de cogestion qui est souvent décrit comme un partenariat ou une collaboration où les communautés de pêche prendraient part au processus de prise de décision et de gestion. Il existe néanmoins une variabilité au niveau de l’implication de ces communautés dans la cogestion, qui va d’un faible à un haut degré de participation (de la non-participation, à la consultation, la coopération et la délégation). Cette notion de variabilité peut aller plus loin dans la mesure où le degré de participation à tel ou tel aspect de la cogestion peut changer d’une pêcherie à l’autre.

La participation des communautés de pêche artisanale à la gestion des pêches se fait à plusieurs niveaux, par exemple dans :

  1. L’élaboration des politiques : définition, planification ;

  2. La définition de règles et gestion des captures ;

  3. Le développement de mesures assurant le respect de la réglementation ;

  4. La gestion responsable, conservation et réhabilitation des écosystèmes ;

  5. La recherche ; et

  6. La gestion et développement des organisations, et la gestion des conflits.

Ces différentes composantes entraînent des coûts et des bénéfices pour chaque partie prenante, induisant de fait différents degrés d’implication des communautés de pêche.

On part généralement du principe que les bénéfices de la participation de la pêche artisanale (par exemple, le pouvoir décisionnel ou des captures plus stables ou améliorées) devraient l'emporter sur les coûts (par exemple, le maintien de la continuité des organisations, le temps consacré aux réunions). Toutefois, la participation à la gestion présente aussi des inconvénients. Au Ghana, les communautés de pêche ont subi certaines conséquences liées à la fermeture de la saison de la pêche, puisque la baisse d’activité économique qui en a résulté a été sous-évaluée. Certes, sur le long terme, la pêche artisanale peut tirer un avantage à participer aux activités de gestion de la pêche, mais elles présentent encore trop d’inconvénients sur le court terme. Il reste encore à clarifier les rôles de la pêche artisanale et des gouvernements dans l’atténuation de ces inconvénients.

A) QUALITÉ DE LA PARTICIPATION À LA COGESTION

La cogestion garantit l’équité et une bonne gouvernance au sein de la pêche artisanale, et les appels à adopter la cogestion afin de satisfaire à des objectifs écologiques et sociaux concrets se multiplient. Il faut toutefois nuancer ces deux éléments. La cogestion présente plusieurs défis à la pêche artisanale, notamment lorsque le secteur industriel ou les secteurs n’appartenant pas à la pêche artisanale maitrisent et dominent les mécanismes de cogestion.

Un premier impératif consiste à examiner la qualité de la participation à la cogestion afin de s'assurer que la participation de la pêche artisanale est significative et qu’elle sera représentée au niveau de l'élaboration des politiques et la mise en œuvre des lois. Néanmoins, le terme « participation » revêt différentes acceptions selon s’il est employé par les communautés de pêche ou les gouvernements.

La représentation des types de participation peut se faire sous la forme d’une échelle d’implication et d'interaction croissante de la part des communautés de pêche :

Pour s'assurer que la participation des communautés de pêche artisanale est significative, il est essentiel d'examiner le niveau et la qualité de la participation. Les communautés peuvent considérer que le niveau de participation n'a pas besoin d'être le même pour chaque composante de la cogestion : pour l'accès aux informations sur le marché, elles peuvent considérer qu'il est suffisant d'être simplement informé, alors que pour la définition des règles de gestion, une prise de décision partagée peut s'avérer vitale. Photo : pêcheurs en train de réparer des filets sur une plage du Ghana, par Melvin Ankrah.

  1. Diffusion d’informations : flux d’informations à sens unique du gouvernement aux communautés de pêche.

  2. Collecte d’informations : les communautés de pêche fournissent des informations au gouvernement ou ce dernier les obtient par le biais d’enquêtes ou de la recherche.

  3. Consultation : En 1993, Bonnie McCay a judicieusement distingué :
    a) Consultation symbolique : Les communautés de pêche artisanale et le gouvernement établissent un dialogue bilatéral, mais le gouvernement ne s’engage pas réellement à tenir compte des compte des informations fournies (il s’agit du niveau b ci-dessus).
    b) Consultation « réelle » : Les communautés de pêche et le gouvernement établissent un dialogue bilatéral, où sont clairement décrits les mécanismes de prise en compte des contributions de la pêche artisanale.
    c) Prise de décision partagée : Les communautés de pêche participent au processus décisionnel et sont susceptibles d’influencer les décisions, voire d’en être responsables. Cela peut conduire à une mise en œuvre et une responsabilité partagées.
    d) Pouvoir des communautés de pêche artisanale : Les communautés de pêche agissent de manière indépendante. Rarement observé, ce cas de figure peut se produire au sein de communautés qui vivent dans des territoires reculés ou sur des îles.

Pour une cogestion efficace de la pêche artisanale, on suppose qu'un niveau élevé de participation au processus décisionnel est nécessaire et, en effet, il est probable que les communautés de pêche respectent ou même appliquent d’autant plus les règlements si elles ont contribué à leur élaboration. Comme évoqué précédemment, les gouvernements ne voient pas toujours de la même manière le niveau de participation des communautés de pêche à la cogestion, tel que la consultation. L’élaboration ainsi que le respect de la réglementation relative à la cogestion ont peu de chance d’être respectées surtout si la consultation reste « symbolique », c’est-à-dire sans aucune garantie que les préoccupations des communautés de pêche soient prises en considération.

Les communautés de pêche peuvent évaluer séparément le niveau de participation qu'elles jugent approprié pour chaque composante de la cogestion. Ainsi, si une participation élevée des communautés de pêche s’avère essentielle au niveau de l’établissement des règles de gestion, il convient de se demander si leur participation au niveau de la mise en œuvre est faisable ou si elle risque de générer des conflits entre les différentes communautés locales. Dans pareille circonstance, le gouvernement devrait en grande partie assumer la responsabilité de la mise en œuvre. Pour d'autres composantes de la cogestion et des services de pêche, comme l'accès à l’information relative au secteur, les communautés de pêche peuvent considérer qu'il est suffisant d'être simplement informés.

Des niveaux de participation élevée et réelle requièrent un renversement de l’équilibre des pouvoirs et, selon le principe des vases communicants, plus l’étendue des compétences des communautés de pêche augmentent plus le gouvernement a cédé une partie des siennes. La réticence des autorités à cet égard peut expliquer certaines des incohérences observées dans les processus de cogestion.

Une trop grande participation peut également poser problème, c’est ce que l’on appelle le « paradoxe de la participation publique ». Dans certaines situations, souvent dans le secteur de la conservation, on a tendance à inclure une grande variété de parties prenantes, mais force est de constater que plus elles sont nombreuses, moins elles ont un rôle important à jouer, et il en va de même pour les secteurs traditionnels. Cette propension, combinée à de nouvelles techniques de planification, jusqu’ici jamais mises en œuvre, suscite des préoccupations, en particulier dans des activités telles que l'aménagement de l’espace maritime.

B) LES DROITS FONCIERS ET HUMAINS DANS LA PRATIQUE : ÉQUITÉ ET COGESTION

Au niveau mondial, il apparait de plus en plus évident qu'un régime foncier sûr est une condition préalable à tout système de gouvernance de la pêche visant à garantir l’utilisation durable des ressources et le bien-être des communautés tributaires de la pêche. Le besoin d’une sécurisation des droits fonciers et humains en tant que condition préalable à une cogestion efficace et équitable ressort de cette étude.

Approches fondées sur les droits humains

Malgré l'existence de mécanismes de cogestion, les communautés locales de pêche du Sénégal et du Ghana s'inquiètent de leur implication insuffisante dans la prise de décision, du poids injuste du fardeau de la gestion qui pèse sur leurs épaules, et assistent au spectacle d’une pêche industrielle qui bénéficie d'avantages indus, ce qui soulève des préoccupations majeures en matière d'équité. En 2023, Ruano-Chamorro et ses collègues avertissent que « lorsque les coûts de la cogestion pèsent sur les personnes les plus démunies, les disparités peuvent nuire davantage aux personnes les plus vulnérables, en augmentant la pauvreté et en creusant les inégalités sociales ». Lorsque ces disparités sont considérées comme injustes, le soutien à la cogestion dégringole et peut conduire au non-respect des règles, voire à des conflits sociaux. Ifesinachi Okafor-Yarwood et ses collègues ont conclu que les mécanismes de gouvernance des pêches en Afrique contraignent injustement le secteur de la pêche artisanale tout en ne parvenant pas à contenir le secteur de la pêche industrielle, ce qui favorise la « ‘survie des plus riches’ - le secteur industriel, au détriment des ‘plus adaptés’ - la pêche artisanale ».

Des groupes d'intérêts puissants, y compris la pêche industrielle, risquent de dominer les systèmes de cogestion. La pêche artisanale nécessite donc une protection pleine et entière des droits humains afin d’éviter que la cogestion ne soit utilisée (délibérément ou non) au détriment de ceux-ci. Par exemple, le fait que les gouvernements revendiquent la participation des communautés de pêche à la cogestion peut cacher une autre réalité, à savoir que, jusqu’ici, leur position et leurs besoins ont été ignorés au profit de ceux d'acteurs plus puissants. Ceci soutient fortement les arguments en faveur d'une approche basée sur les droits humains (AFDH) selon laquelle l’assurance, en premier lieu, de la protection des droits humains (par exemple, l'accès au poisson et aux moyens de subsistance, l'égalité, la santé, la culture, les écosystèmes sains) réduit les risques de résultats inéquitables de la cogestion pour la pêche artisanale. Bien que la cogestion ne soit pas considérée comme une approche qui garantirait le respect des droits humains pour la pêche artisanale (celle-ci doit faire face à des obstacles parfois considérables), dans certains cas, elle peut être la seule option viable (par exemple, dans le cas où il y aurait un manque de volonté politique pour la mise en œuvre de la législation sur les droits humains). Cela suggère qu'il est nécessaire de mettre l'accent sur l'équité ; et qu’un point de départ serait de garantir les droits humains comme base juridique, puis en réalisant des investissements qui viseraient à améliorer la participation au processus décisionnel, en encourageant les mécanismes de résolution des conflits et en insistant, à l'intérieur comme à l'extérieur du secteur, sur la réduction de la pauvreté.

Droits fonciers et accès

La protection et la reconnaissance des droits d'accès à la pêche artisanale sont spécifiquement visées par l’ODD 14.b. Les droits d'accès ne sont pas les seuls droits que les autorités centrales ou les gouvernements devraient transmettre aux communautés de pêche ; le transfert et la décentralisation des droits de gestion et d'exclusion revêt une importance capitale. Globalement, l'étude IHH a montré que lorsque les conditions d'accès sont associées à la dévolution des droits aux hommes et aux femmes de la pêche artisanale, il est plus probable que ceux-ci développent une gouvernance qui profite aux moyens de subsistance et à la conservation de leurs ressources halieutiques. Le plus souvent, les gouvernements octroient à la pêche artisanale des autorisations d’accès par le biais de licences de pêche, alors que généralement lorsque les droits sont dévolus aux communautés de pêche, l’accès à la pêche se base presque toujours sur le lieu de résidence ou une utilisation coutumière d’un site. Ainsi, dans les faits, le modèle de dévolution des droits aux communautés de pêche reste limité et ne s’applique que pour 5 % des captures mondiales de la pêche artisanale.

Plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest disposent d'une zone de pêche artisanale désignée. Cependant, la plus grande menace pour les pêcheurs artisanaux en mer sont les incursions (illégales) des navires industriels, qui entraînent des risques de collisions, avec destruction des engins de pêche artisanale et peuvent même causer des décès. Photo : le site de débarquement d'Ayiguinnou (Bénin), par Joëlle Philippe/CAPE.

Neuf des seize pays d'Afrique de l'Ouest ont désigné des zones d'accès préférentiel (ZPA, zones de pêche artisanale) pour la pêche artisanale, mais il n'est pas clair si ces zones lui sont totalement réservées (citons, par exemple, les dérogations accordées à certains navires industriels au Ghana ou leurs incursions au Sénégal). Une étude portant sur 33 pays africains a révélé que le respect des ZPA constitue un enjeu clé en matière de gouvernance et que les flottes industrielles avaient passé 3 à 6 % de leur temps de pêche dans des zones côtières réservées à la pêche artisanale au cours de la période 2012-2016. Selon le pays, jusqu'à 26,5 % de l'effort de pêche apparent a eu lieu dans les ZPA (en 2019). Les cas du Sénégal et du Ghana confirment qu’une mauvaise gestion de l'accès est l'un des principaux obstacles à la réalisation du potentiel des ZPA.

Il faut s'attaquer d'urgence au manque de contrôle des activités les plus préjudiciables pratiquées par la pêche industrielle,  en grande partie d’origine asiatique, et à la concurrence illégale qu'elle fait subir à la pêche artisanale. L'application de la législation devrait se concentrer sur la lutte contre ces incursions industrielles tout en fournissant un soutien à la pêche artisanale au cas où leurs efforts d'autorégulation l'exigeraient.

Dès lors que des garde-fous assurent la justice et l’équité, un développement et une combinaison efficaces des droits de gestion et des droits d’accès, en particulier la notion d’accès exclusif, est essentiel à l’autonomie des communautés de pêche en matière de gestion de leurs pêcheries.

Le rôle central et pourtant invisible des femmes dans la pêche artisanale

Les statistiques nationales prennent rarement en compte les activités de femmes dans les politiques nationales, et des problèmes spécifiques, liés notamment aux interdits culturels, peuvent empêcher les femmes d'accéder à des opportunités de travail et limiter leur capacité à maîtriser leur avenir. Comme le souligne bien l'Appel à l'action de la pêche artisanale, les femmes sont encore plus confrontées que les hommes à l'inadéquation des infrastructures, des transports, de l'accès au crédit (y compris au microcrédit), aux possibilités limitées de création de valeur ajoutée et aux pertes post-capture qui en découlent, ainsi qu'au faible accès aux ressources halieutiques et aux matières premières. En raison de leur genre, les femmes sont spécifiquement victimes de harcèlement et de vols de produits sur les lieux de vente ou pendant le transport, et ne participent que très peu aux associations professionnelles nationales et régionales du secteur de la pêche et de l'aquaculture, ainsi qu'au processus décisionnel à des niveaux élevés.

Une action et un investissement à plusieurs niveaux de la part des gouvernements, des organismes de gestion de la pêche, des ONG et d’autres parties prenantes devraient prendre en compte la protection et la promotion des moyens de subsistance des femmes en matière de pêche durable dans tous les domaines couverts par ce rapport, et en particulier :

  • L’amélioration de la visibilité, la reconnaissance, la voix institutionnelles et des opportunités de participation des femmes à la pêche durable, y compris dans l'élaboration des politiques nationales et régionales.

  • L’appui au rôle central et innovant des coopératives de femmes dans le plaidoyer et la promotion de la reconnaissance, de l'autonomisation et de la participation des femmes au sein de la pêche artisanale.

  • La création de systèmes de crédit et de microcrédit spécifiquement conçus pour les femmes de la pêche artisanale.

  • La collecte de données désagrégées afin de visibiliser les rôles et les responsabilités des femmes tout au long de la chaîne de valeur de la pêche.

  • L’augmentation du nombre de femmes aux niveaux décisionnels, par exemple dans les plateformes des acteurs non étatiques.

C) L’ORGANISATION DES COMMUNAUTÉS DE PÊCHE

Il faut accorder beaucoup plus d'attention au soutien des organisations compétentes de pêche artisanale qui accompliraient certaines tâches spécifiques. En 2015, Ishmael Kosamu a examiné le cas de 9 pays africains et de 4 pays asiatiques et américains et a constaté que la durabilité de la pêche artisanale dépendait uniquement de la force du capital social collectif des communautés locales. Lorsque le capital social local est faible, la viabilité des pêcheries est menacée, quel que soit le degré d'implication du gouvernement.

La gouvernance durable de la pêche artisanale est étroitement liée au bon fonctionnement des organisations de pêche, mais on ne sait pas encore comment créer et soutenir au mieux ces organisations en interne et par des politiques de soutien.

Mal conceptualisés, la création et le soutien aux organisations de pêche peut avoir des effets délétères, rappelons-nous de l'exemple des CLPA et des CBFMC mentionnés ci-dessus, et l'imposition d'approches inappropriées risque de fragiliser l'organisation familiale et culturelle et de détruire l'organisation sociale locale de la production. En outre, les coopératives de femmes et les autres organisations qui défendent leurs droits nécessitent un soutien financier fiable et une reconnaissance institutionnelle aux niveaux national et régional, sinon ces structures risquent de voir s’amoindrir leurs capacités à défendre les droits des femmes de la pêche artisanale.

Les femmes étant très vulnérables aux bouleversements, il est essentiel qu'elles puissent bénéficier d'un soutien financier fiable et que leurs coopératives soient reconnues par leurs autorités, y compris au niveau régional. Photo : Deux femmes vendant du poisson sur un site de débarquement au Ghana, par Nana Kweigyah de l'Association des propriétaires de canoës du Ghana (CaFGOAG).

La création d'institutions locales de cogestion nécessite une réflexion approfondie. En effet, l’expérience tend à montrer que lorsque de nouvelles institutions sont imposées depuis l'extérieur, telles que les CLPA au Sénégal, elles peuvent être perçues localement comme illégitimes et offrent indirectement des opportunités de captures à des acteurs puissants. Même lorsque ces institutions sont finalement acceptées, elles perdent en légitimité si elles ne disposent pas de ressources suffisantes pour fonctionner comme prévu (voir point suivant). Un soutien sur-mesure aux institutions locales de cogestion devrait tenir compte des institutions locales et traditionnelles déjà existantes et sur comment renforcer leurs capacités et encourager leur légitimité et l’autonomie dans leur fonctionnement. Comme le dit Ishmael Kosamu : « Le rôle principal des gouvernements dans la pêche artisanale dans les pays en développement [...] semble être de s'effacer le plus intelligemment possible, en respectant, en protégeant et en soutenant les institutions locales ».

D) VOLONTÉ POLITIQUE NATIONALE

Il est évident qu'au niveau national, dans la plupart des pays, le secteur de la pêche, en particulier le secteur de la pêche artisanal, ne reçoit que très peu d'attention politique. Cette situation est très préoccupante en raison des nombreuses ramifications à d'autres responsabilités et priorités gouvernementales – sécurité alimentaire et nutrition aux niveaux national et local, santé, emploi, réduction de la pauvreté et conservation. Une pêche artisanale durable apporte de nombreux avantages et, inversement, l'effondrement de la pêche artisanale aura des répercussions considérables. Une prise de conscience politique au plus haut niveau et dans tous les secteurs sera nécessaire pour que les gouvernements répondent aux appels de l’administration des pêches en faveur d'un soutien budgétaire accru et favorise un examen approfondi des progrès réalisés dans la mise en œuvre de la cogestion dans la pêche artisanale.

E) FINANCES ET APPROVISIONNEMENT

Le leitmotiv de l'insuffisance ou de l'absence de financement pour des activités de cogestion essentielles telles que la mise en œuvre de la loi ou le fonctionnement des institutions locales de cogestion va dans le même sens que l'Appel à l’action lancé par la pêche artisanale aux gouvernements ou aux bailleurs de fonds afin qu'ils allouent des moyens financiers suffisants dans les budgets nationaux annuels pour soutenir les systèmes de cogestion.

Une grande partie de l'aide apportée par les bailleurs de fonds à la pêche artisanale prend la forme de projets, généralement d'une durée relativement courte, comme c'est le cas au Ghana avec les CBFMC. Cela semble évident : les projets peuvent tester une technique, fournir une infrastructure ou renforcer les capacités, mais l'utilisation de ces résultats comme base de la gestion de la pêche et de l'application de la réglementation dépend du maintien d'un financement adéquat. Cela devrait normalement se refléter dans des budgets récurrents et du personnel formé au niveau des gouvernements locaux et nationaux. Alors qu’il serait relativement facile de contrôler ces engagements gouvernementaux, cela est rarement le cas.

Les communautés de pêche et les acteurs concernées par la durabilité de la pêche artisanale devront veiller à ce que les gouvernements évaluent avec précision les coûts et les incidences financières des politiques et stratégies de cogestion adoptées – sans dotation budgétaire, ces dernières manqueront de crédibilité. Une hausse des investissements est nécessaire à tous les niveaux, particulièrement dans les processus d’organisation et de participation des communautés de pêche ainsi que de la mise en œuvre et la protection de la pêche artisanale (sécurité sociale, atténuation des impacts des mesures de gestion, protection contre la pêche industrielle et d’autres secteurs plus puissants).

Différents moyens pourraient être mis en œuvre pour couvrir les frais de cogestion au niveau local et gouvernemental. En 2020, le Ministère des pêches et de l’aquaculture du Ghana a fait plusieurs propositions pour générer des recettes : taxes de débarquement, contraventions, taxes sur le carburant, contributions des organisations de pêche, soutien financier des organisations de la société civile, donations privées, partenaires de développement, budget des gouvernements locaux et nationaux. Les bailleurs de fonds devraient être incités à financer ou soutenir, par d’autres mécanismes appropriés, les organismes gouvernementaux responsables des pêches.

Conclusion et recommandations

Grâce à l'Appel à l'action de la pêche artisanale, au soutien essentiel des Directives sur la pêche artisanale et à l'émergence de politiques régionales et nationales, les thématiques de la cogestion et des droits des communautés de pêche ont gagné en visibilité : dès à présent, les hommes et les femmes de la pêche artisanale et leurs partisans doivent accorder beaucoup plus d'attention aux détails dans chaque contexte national ou même local.

Les solutions proposées doivent s’adapter au contexte de leur mise en œuvre. Les gouvernements et leurs partenaires doivent se rappeler qu'une solution unique ne convient souvent à personne, et qu'une approche considérée comme participative de leur point de vue, pourraient être perçue comme directive du point de vue de la pêche artisanale !

Cet élément devrait également être pris en considération par les organisations qui s'occupent de la conservation de la biodiversité et qui ont pris conscience de l'importance de travailler avec les communautés côtières et le secteur de la pêche artisanale. Par le biais de mécanismes de gouvernance adaptés au niveau local, ces approches permettent à la pêche artisanale de concrétiser ses aspirations en moyens de subsistance durables et de favoriser une conservation équitable et juste de régions côtières riche en biodiversité des pays en voie de développement.

Malgré la nécessité d'élaborer des solutions spécifiques propres aux contextes variés de la pêche artisanale, voici quelques recommandations générales pour renforcer le soutien à la mise en œuvre de la cogestion dans ce secteur :

1. transparence et accès à l’information

La transparence ainsi que l’accès à l’information constituent un élément clé de la participation des communautés de pêche à la cogestion. Étant donné que les statistiques officielles ne tiennent pas vraiment compte de la pêche artisanale, et en particulier du rôle qu'y jouent les femmes, les gouvernements doivent effectuer une collecte de données ventilées par sexe et diffuser des informations sur le secteur afin de visibiliser l'importance de la contribution des femmes à la sécurité alimentaire, aux moyens de subsistance et à l'utilisation durable de l'océan. Il est également essentiel de rendre publiques toutes les informations pertinentes, y compris la législation, les autorisations de pêche, les données sur les performances et la justification des règles de gestion, conformément aux normes minimales de l'Initiative pour la transparence dans le secteur de la pêche (FiTI).

2. allocation d’un budget pour les politiques relatives à la pêche artisanale

L’allocation par les gouvernements d’un budget qui garantisse la mise en œuvre de politiques relatives au secteur de la pêche artisanale. Pour ce faire, les bailleurs de fonds doivent prendre conscience des lacunes au niveau de la mise en œuvre des projets et réévaluer l'aide budgétaire sectorielle. L'ensemble du gouvernement devrait adopter une seule et même approche, dont le succès ou l'échec aura un impact sur de multiples secteurs : sécurité alimentaire et nutrition à l'échelle nationale et locale, santé, emploi, réduction de la pauvreté, égalité entre les hommes et les femmes et conservation. Que ce soit à l'échelle nationale ou locale, les politiques en matière de pêche artisanale devraient être détaillées au niveau de leur mise en œuvre et de leur budgétisation ; en outre, les gouvernements et les bailleurs de fonds devraient être tenus responsables de l’exécution de ces politiques. Il se peut que les organisations de pêche artisanale aient à défendre leurs droits dans des sphères plus élevées du pouvoir ou dans d’autres secteurs.

3. soutien aux organisations de pêche artisanale

Un soutien adapté aux organisations de pêche artisanale en veillant à ce qu'elles aient une utilité, œuvrent dans la légalité et bénéficient de suffisamment de soutien pour remplir les fonctions exigées. Ce soutien doit tenir compte des institutions locales existantes et des contextes socioculturels de légitimité et de fonctionnalité. Il conviendrait d’accorder une attention particulière à la participation des femmes dans ces institutions et de soutenir les organisations qui les représentent. D'autres institutions locales de soutien, telles que les organisations de la société civile et les agences gouvernementales de pêche décentralisées, doivent se voir confier des rôles et des responsabilités clairs et avoir la capacité de les exercer. Les communautés de pêche devront peut-être prendre l'initiative de définir le type d'organisation qui leur convient et la manière de la mettre en place.

4. élimination des obstacles à la participation

L’élimination des obstacles à l'exercice des droits des communautés de pêche et à leur participation aux processus de gestion, pourrait se faire par le biais d’une définition des rôles et des responsabilités des autorités et des communautés dans chaque aspect de la gestion de la pêche. Il faut aussi accélérer le développement et l'application des zones d'accès préférentiel ou exclusif aux communautés de pêche artisanale (ZPA) ainsi que des mécanismes de participation à tous les aspects de la gestion de la pêche, en veillant à leur mise en œuvre et à leur financement suffisant. La reconnaissance juridique des droits humains et des droits des communautés de pêche au foncier nécessite une rationalisation et une réduction des charges administratives (telle que l’obligation d’obtenir une licence de pêche) pour la pêche artisanale afin de garantir son fonctionnement. Les mécanismes de consultation doivent fournir des preuves claires de la manière dont les contributions des communautés de pêche ont été prises en compte et si de tels mécanismes de résolution des conflits n'existent pas, il faudra les développer. Les hommes et les femmes de la pêche artisanale devraient continuer à produire des recherches et de l'information concernant leurs besoins, y compris pour un accès préférentiel aux zones de pêche côtières.

5. application de la réglementation relatives à la pêche industrielle

Le renforcement de la mise en œuvre des règlements relatifs à la pêche industrielle devrait être une priorité. Le secteur de la pêche artisanale tirera pleinement avantage de l'accès préférentiel aux zones côtières et pourra placer sa confiance dans le gouvernement seulement si la pêche industrielle, de loin le secteur le plus impactant, se soumet à la réglementation. Les gouvernements devraient également veiller à pleinement soutenir et protéger les communautés de pêche artisanale afin qu'elles mènent à bien la surveillance participative, mais ils devraient assumer de manière significative le fardeau que représente l'élaboration et l'application de la réglementation dans le secteur de la pêche industrielle.

6. droits humains et équité

Une attention particulière portée aux droits humains et à l’équité afin de s’assurer de la défense des droits des communautés fragilisées, en particulier de ceux des femmes. Les droits des communautés de pêche en matière d'accès, de moyens de subsistance et de santé devraient prévaloir sur les intérêts des entreprises de la pêche industrielle, notamment lorsque les deux secteurs interagissent. N’oublions pas que les efforts déployés à grande échelle pour réduire la pauvreté diminuent la pression exercée sur les pêcheries non durables et l'impact de la pêche industrielle sur les communautés locales. Par ailleurs, il conviendrait d'accorder une attention particulière à l'extrême vulnérabilité des femmes qui résulte à la fois de leur participation insuffisante au niveau des associations professionnelles nationales et régionales du secteur de la pêche et de l'aquaculture, ainsi que des processus décisionnels en matière de gestion qui se situent à des niveaux élevés de pouvoir. Les gouvernements, les organismes gouvernementaux de gestion des pêches, les ONG et les autres acteurs doivent agir à plusieurs niveaux et investir pour protéger et promouvoir les moyens de subsistance et le rôle des femmes dans la pêche artisanale et tout au long de la chaîne de commercialisation. Dans un futur proche, les communautés de pêche artisanale devront continuer de soulever ces thématiques à tous les niveaux.