Une meilleure contribution des APPD à la sécurité alimentaire passe par la protection et la promotion de la pêche artisanale

Une question resurgit depuis longtemps concernant les accords de partenariat de pêche durable (APPD) que l'Union européenne (UE) signe avec les pays africains : de quels avantages bénéficie le pays partenaire ?

Comme souligné dans un article récent, il s'agit d'un défi majeur à relever afin d'améliorer la pertinence des APPD pour les pays partenaires et de convaincre ces derniers de s'engager davantage dans leur mise en œuvre.

Dans un rapport récent financé par le ministère fédéral allemand de la Coopération Économique et du Développement (BMZ), Poseidon, cabinet de conseil en gestion des pêches, contribue au débat et passe en revue les moyens d'accroître les retombées positives des APPD pour les pays africains, « en accordant une attention particulière à la pêche artisanale, à l'égalité entre les hommes et les femmes et à la sécurité alimentaire ». Ce rapport s'appuie sur la récente évaluation des APPD publiée par la Commission européenne, y compris l'utilisation de l'appui sectoriel, et explore d'autres questions telles que les débarquements locaux de navires européens. En outre, en examinant des études de cas réalisées dans quatre pays – la Gambie, la Mauritanie, Madagascar et le Sénégal – ce rapport fournit une série de recommandations à l'UE, aux pays africains partenaires et aux bailleurs de fonds.

Débarquements locaux dans le cadre des APPD : une contribution à la sécurité alimentaire utile, mais pas idéale

Le rapport soulève la question essentielle de savoir si une augmentation des débarquements de poisson par les navires de l'UE dans les pays africains partenaires serait souhaitable du point de vue de la sécurité alimentaire. Nous pouvons y lire que « il n'existe pas d'APPD imposant des ventes aux industries locales (à l'exception des contributions en nature), au motif que cela fausserait les relations commerciales. »

La relation entre les débarquements de poisson et la contribution à la sécurité alimentaire n'est pas simple : « Les débarquements dans les ports ne signifient pas nécessairement que les produits débarqués approvisionneront les marchés locaux ou seront disponibles pour les industries de transformation locales si le produit est exporté sans être transformé. » En outre, le rapport indique qu’un produit transformé contribue à la création d'emplois locaux mais que, s'il est exporté, il ne sera pas « disponible pour la consommation locale » et que les captures transbordées (c'est-à-dire non débarquées) ne créent, « en plus de la taxe de transbordement, qu'un petit voire aucun avantage économique à terre pour les pays africains partenaires. » Le rapport note également que « bien que cela n'ait pas été quantifié ou pleinement compris lors de la rédaction du présent rapport, les risques que ces débarquements faussent les marchés locaux existent bel et bien ». Citons notamment le cas des navires de l'UE qui débarquent des captures pour les vendre sur les marchés locaux, en concurrence avec les produits issus des pêcheries artisanales traditionnellement vendus sur ces marchés.

Et cela ne tient pas compte de la situation dans son ensemble. En Mauritanie, dans le cadre de l’APPD, les navires de l'UE réservent 2 % de leurs captures de petits pélagiques en guise de « contribution en nature », ce qui a sans aucun doute contribué à augmenter la consommation locale de poisson. Mais, comme le souligne à juste titre le rapport, il s'agit d'une goutte d'eau dans l'océan : « Les responsables de la politique de la pêche [mauritanienne] sont confrontés à la problématique récurrente, d’une part, d’augmenter les quantités de petits pélagiques destinées à la consommation humaine et, d’autre part, de réduire simultanément celles destinées à l'industrie de la farine de poisson, le tout en contribuant à la préservation des stocks. » Cependant, la farine de poisson produite en Mauritanie à partir de stocks surexploités alimente principalement des saumons élevés en Norvège qui se retrouvent ensuite dans les assiettes des consommateurs de l'UE. On pourrait donc affirmer que l'UE, en tant que principal marché pour le saumon d'élevage norvégien, a un impact négatif beaucoup plus important sur la sécurité alimentaire en Afrique de l'Ouest qu'un impact positif avec le débarquement des petits pélagiques en Mauritanie.

La consommation par l’UE de saumon fumé norvégien nourri de farine et et d’huile de poisson produites en Afrique de l’Ouest a un impact négatif beaucoup plus important sur la sécurité alimentaire en Afrique de l'Ouest qu'un impact positif avec le débarquement des petits pélagiques en Mauritanie. Photo : Vicky Ng.

Le rapport avance que « l'amélioration de la disponibilité des ressources pour les espèces capturées par les navires de l'UE pourrait/devrait entraîner une augmentation des captures et donc potentiellement des débarquements, ainsi que de créer des liens plus étroits entre les navires de l'UE et les pays africains partenaires en termes de contribution à la sécurité alimentaire, à la valeur ajoutée et à l'emploi. » Comme le demandent les communautés de pêche artisanale d’Afrique, cela suggère que les APPD devraient donner la priorité au renforcement de la gestion de la pêche – notamment par le biais de l’appui sectoriel – en la rendant plus transparente et plus inclusive. Mais cela n'entraînerait pas de facto « une augmentation des captures par les navires de l'UE », car l'état d'exploitation de nombreuses ressources ciblées par les navires de l'UE exige une diminution de l'effort de pêche et, dans une telle situation, la priorité devrait être de garantir l'accès de la pêche artisanale à ces ressources.

Les APPD à l’origine des débarquements locaux ? Pas vraiment

Du point de vue de la contribution à la sécurité alimentaire, les débarquements et transbordements locaux ne présentent qu’un intérêt potentiel et limité, mais le rapport énumère néanmoins d'autres avantages : les navires de l’UE « fournissent des matières premières aux usines de transformation pour l'exportation, achètent des biens et des services (par exemple, du carburant, de l'accastillage, des services de réparation de navires, des services portuaires, etc.) lors de leurs visites dans les ports. » Qui plus est, les APPD jouent également un rôle dans l'amélioration du contrôle, car le pays africain où le poisson est débarqué ou transbordé peut alors « procéder à l'inspection des transbordements afin de garantir le respect des mesures de conservation et de gestion. »

L'évaluation de la Commission européenne avait déjà noté que lorsque les pays partenaires des APPD disposent de ports ou d'industries de transformation du poisson conformes à la législation alimentaire de l'UE, « ils tirent des avantages socio-économiques significatifs des APPD. » CAPE a déjà démontré que, lorsque les pays disposent d’infrastructures adaptées, la plupart de ces avantages – fourniture de biens et de services, transformation du poisson débarqué – existeraient même en l'absence d'un APPD. Ceci est également reflété dans le rapport : « Le Ghana et l'Afrique du Sud, par exemple, n'ont pas signé d'APPD avec l'UE, mais reçoivent une partie des captures de thon de l'UE effectuées dans la région par l'intermédiaire des APPD, ce qui profite à leurs ports et à leurs infrastructures de transformation côtières. »

Parmi les pays qui ont signé un APPD, certains bénéficient davantage des liens entre, d’une part, les navires de l'UE et, d’autre part, les ports et les infrastructures de transformation : « pour les petits pélagiques, les démersaux et les crustacés, le Maroc et la Mauritanie ; et pour le thon, le Cap-Vert, le Sénégal et la Côte d'Ivoire dans l'océan Atlantique, et Madagascar, l'île Maurice et les Seychelles dans l'océan Indien. » Tous ces pays « disposent d'une infrastructure portuaire capable de desservir les grands navires de pêche (et/ou sont géographiquement bien placés pour gérer les flux de produits vers l'Europe et/ou disposent d'un APPD qui impose des débarquements), bien que certains soient plus développés/opérationnels que d'autres. »

L'étude énumère les principaux éléments qui attirent les débarquements locaux, notamment : le lieu de capture et la proximité des zones de pêche par rapport aux différents ports à différentes périodes de l'année ; la capacité des pays partenaires africains à exporter du poisson vers le marché de l'UE en fonction de leur respect des exigences de l'UE (en matière d'hygiène, de sécurité alimentaire, de pêche INN et/ou de régimes tarifaires/de quotas) ; le statut et l'état des infrastructures et des services portuaires (quais, absence d'encombrement pour permettre des temps de rotation rapides, avitaillement, qualité, rapidité et prix des services portuaires, y compris l'entretien et la réparation des navires).

« La présence d'industries de transformation côtière ayant la capacité de traiter une partie des débarquements [des navires de l’UE], qui paient dans un délai raisonnable et permettent une pesée rapide par espèce ; les prix payés pour le poisson dans les pays partenaires africains par rapport à ceux pratiqués dans d'autres ports et/ou par d'autres acheteurs internationaux » sont des facteurs supplémentaires qui expliquent l'intérêt des navires de l'UE à débarquer et à vendre leurs captures dans des ports africains spécifiques.

Même en l’absence d’accord de partenariat de pêche durable, les avantages qui découlent de la fourniture de biens et de services ainsi que de la transformation du poisson débarqué dans les pays africains dotés d’infrastructures portuaires adaptées subsisteraient. Les débarquements locaux ne dépendent pas de l’existence préalable d’un APPD. Photo : Paul Einerhand

Des liens historiques bien établis ont également un rôle à jouer : « Certains pays partenaires africains ne bénéficient pas des débarquements des captures de l'UE et auraient intérêt à attirer des débarquements plus importants. Or, le bouleversement des schémas historiques de débarquement et de la dynamique du marché nécessiterait des investissements très importants dans les infrastructures portuaires et de transformation qui seraient difficile à réaliser. »

Un exemple éloquent est présenté dans le rapport national de la Gambie : les armateurs de l'UE ne débarquent pas leurs captures de thon en Gambie, car ils trouvent de meilleures infrastructures de débarquement, plans de traitement et installations de soutien aux navires dans d'autres ports de la région, comme Dakar et Abidjan.

Augmentation des débarquements locaux dans les APPD ? Priorité à une gestion durable de la pêche

La première recommandation du rapport appelle à la prudence : « L'UE et les pays partenaires africains devraient continuer à évaluer de manière critique, pour chaque APPD et pour chaque espèce, dans quelle mesure il conviendrait de rendre obligatoire ou d'encourager une partie des débarquements et, lorsque cela est possible et pertinent, d'inclure des dispositions en ce sens dans les futurs protocoles. » Puis : « Les évaluations devraient prendre en compte les conditions présentes dans les différents pays partenaires africains, les risques de déplacement des bénéfices entre ces pays et les impacts sur les marchés nationaux. » Les bailleurs de fonds sont appelés à « financer une évaluation comparative des infrastructures et des services portuaires dans tous les pays partenaires africains et dans les pays africains en mesure de recevoir les captures des navires de l'UE, afin de s'assurer que les ports africains sont compétitifs et répondent aux besoins actuels et futurs des navires étrangers en visite. »

Par le biais des APPD et des bailleurs de fonds, d'autres recommandations insistent sur le soutien nécessaire à la gestion de la pêche, à la recherche et aux mesures d'application, « en particulier pour les espèces autres que le thon, étant donné que les dispositions en matière de recherche et de gestion pour le thon sont généralement plus avancées. » Le soutien à la mise en place de bonnes conditions d'emploi pour les équipages travaillant sur les navires de l'UE doit continuer grâce à « l'application de la clause sociale dans les protocoles d'accords de partenariat scientifique et technologique. » – un sujet qui a aussi été récemment analysé en profondeur par le Conseil consultatif de pêche lointaine de l'UE.

Il est intéressant de noter que le rapport appelle également à « utiliser la force » du partenariat entre l'UE et les pays partenaires africains « pour s'assurer que les navires non communautaires battant pavillon étranger (ou ceux dont le propriétaire bénéficiaire est étranger mais qui battent pavillon local) soient soumis à un contrôle et à une surveillance suffisants, que leur nombre n'ait pas d'impact négatif ni sur les ressources disponibles à la capture pour les flottes de pêche locales, ni sur les relations entre les flottes de l'UE et celles des pays partenaires africains en raison de leur impact sur les captures des navires de l'UE. »

Une des recommandations souligne l'importance de reconnaître et de soutenir le rôle que jouent les hommes et les femmes de la pêche artisanale pour la sécurité alimentaire. En effet, les APPD favoriseront au mieux la sécurité alimentaire de deux manières : par la protection de l’accès des communautés de pêche artisanale aux ressources – il est primordial d'établir un zonage dans les APPD qui garantisse l’absence de concurrence entre les navires de l'UE et ceux des pêcheurs artisans – ainsi que par la promotion de la pêche artisanale comme activité bénéfique pour le développement durable.

Sur ce dernier point, le fait que 33 % de l'appui sectoriel des APPD ait été consacrée à des actions de soutien à la pêche artisanale est remarquable et devrait être poursuivi, bien que de manière plus structurelle. La recommandation formulée dans le rapport, à savoir de « systématiquement utiliser les Directives volontaires de la FAO visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté et de s'y référer afin d’augmenter la participation des communautés de pêche au processus décisionnel et de s'assurer que leurs intérêts continuent d'être pris en compte dans les programmes d'appui sectoriel »,est tout à fait appropriée.

 

Photo bannière : à Cacheu (Guinée Bissau), une femme transformatrice prépare le poisson avant de le fumer. Le manque d’installations de conservation oblige souvent les femmes à travailler tard dans la nuit afin de transformer le poisson avant qu’il ne pourrisse. Photo : Carmen Abd Ali.