Les communautés de pêche artisanale du Libéria, qui constituent le pilier de l'économie côtière et de la sécurité alimentaire du pays, tirent une nouvelle fois la sonnette d'alarme.
Dans une lettre adressée le 15 juillet à l’Autorité nationale des pêches et de l’aquaculture (NaFAA), les pêcheurs de la LAFA, soutenus par des organisations de la société civile nationales et internationales, demandent l’arrêt immédiat de l’approbation d’un plan de gestion des pêches (PGP) controversé. Ce plan autoriserait des chalutiers semi-industriels à pêcher dans des zones jusqu’ici réservées à la pêche artisanale.
Ce n'est pas la première fois que les pêcheurs artisans du Libéria s'inquiètent de l'empiètement des navires de pêche industrielle, en particulier des chalutiers, dans leur zone de pêche traditionnelle. Depuis plus d’une décennie, ils s'opposent clairement et sans relâche à ces pratiques. Aujourd’hui, l’enjeu est plus crucial que jamais. La communauté internationale – et en particulier l’Union européenne – a une responsabilité claire d’agir en apportant un soutien approprié.
Un plan qui menace les moyens de subsistance des communautés de pêche artisanale
Le projet de plan de gestion de la pêche semi-industrielle multispécifique permettrait à dix chalutiers de pêcher dans la zone côtière, mettant en péril les moyens d’existence de plus de 37 000 pêcheurs et 200 000 travailleurs du secteur, en majorité des femmes transformatrices de poisson, dont la survie dépend des ressources côtières. Selon la lettre envoyée à la NaFAA, ce plan « va à l’encontre de cinq principes fondamentaux de la loi libérienne de 2019 sur la pêche », notamment le principe de précaution, la durabilité et l'équité sociale.
« Les représentants de pêche artisanale n’ont eu que trois jours pour examiner le document technique de 46 pages du plan de gestion des pêches avant la réunion de validation.” »
Le projet de plan ignore également le règlement de 2010 sur la pêche au Liberia, qui réserve la bande côtière de 6 milles marins à la pêche artisanale et aux navires non pontés, comme les pirogues fanti. La réglementation a été mise à jour en 2020 afin d'autoriser les chalutiers semi-industriels jusqu'à 4 milles marins. Le plan de gestion proposé ne traite pas de cet affaiblissement de la protection de la zone réservée à la pêche artisanale, mais augmente plutôt le potentiel de concurrence entre les chalutiers et les pêcheurs artisans.
Il ne prévoit par ailleurs aucune mesure pour éviter que ces chalutiers détruisent les écosystèmes sensibles ou les espèces vulnérables. Bon nombre des espèces ciblées par les chalutiers sont déjà surexploitées, et le chalutage de fond, une méthode de pêche connue pour ses niveaux élevés de prises accessoires et la destruction des fonds marins, risquerait de les mener à l'effondrement. En effet, le projet de PGP ne fournit aucune évaluation de l'impact de cette pêche au chalut sur l'écosystème dans son ensemble.
L’élaboration de ce plan a été marquée par un manque de transparence. Les parties prenantes n’ont eu que trois jours pour examiner un document technique de 46 pages avant sa validation, empêchant toute participation significative, en particulier des pêcheurs ruraux disposant de peu de ressources techniques ou d’accès à Internet. Ce type d’exclusion avait déjà été observé en 2024 lors de consultations sur un autre PGP, adopté malgré de fortes objections.
Une marginalisation systémique des communautés de pêche artisanale du Libéria
Des épisodes similaires ont été documentés au fil des ans. Déjà en 2017, lorsque la présidente a publié le décret n° 84 proposant de réduire la zone d’exclusion côtière (ZEC) du Libéria de 6 milles marins à seulement 3 milles marins, les communautés de pêche artisanale du Libéria avaient exprimé leur inquiétude face à la volonté du gouvernement d’ouvrir la zone des 3 milles aux chalutiers étrangers, mettant en garde contre des répercussions sociales et écologiques désastreuses. En 2024, la LAFA s’était opposée à une nouvelle tentative de la NaFAA de démanteler leur zone de pêche au profit de la pêche industrielle au chalut aux crevettes. Les objections étaient claires : destruction des pêcheries et de l'environnement, entraînant une perte de revenus pour ces communautés de pêche, une insécurité alimentaire et une recrudescence des conflits en mer avec les chalutiers.
Comme CAPE l’a souligné dans une publication de début 2025, la protection et l'investissement dans la pêche artisanale sont essentiels pour l'avenir des relations entre l'UE et le Libéria. Pourtant, le déséquilibre entre les flottes industrielles et artisanales du Libéria continue de s'accentuer. Selon le Comité des pêches du Centre-Ouest du Golfe de Guinée, les captures des chalutiers ont augmenté, tandis que les débarquements des pirogues artisanales stagnent, une situation non durable exacerbée par la faiblesse des mesures de contrôle et l'augmentation de la pêche illégale. Il est inquiétant de constater que le PGP proposé pour les chalutiers semi-industriels ne précise même pas le pavillon des chalutiers entrants, ce qui soulève d'autres questions sur la transparence, le partage des bénéfices et le risque de pêche INN.
Que devrait faire l'UE ?
L’UE s’est engagée à défendre la pêche artisanale à travers plusieurs cadres internationaux, comme les Directives de la FAO sur la pêche artisanale ou l’Objectif de développement durable 14b. Elle est également un partenaire important de l’économie bleue libérienne via la coopération au développement, la lutte contre la pêche INN et un accord de partenariat durable sur la pêche (actuellement suspendu).
Afin d'aligner son soutien sur ces engagements, à un moment où l'UE souhaite se positionner comme un leader mondial en matière de bonne gouvernance dans le domaine de la pêche, elle devrait :
Appeler à la suspension immédiate du plan de gestion proposé, en attendant la tenue de consultations inclusives avec les acteurs de la pêche artisanale, et l’élaboration de mesures de protection fondées sur des données scientifiques solides.
Soutenir le Libéria à prendre toutes les mesures nécessaires pour établir, de manière transparente et participative, une zone exclusive de 12 milles marins réservée à la pêche artisanale et semi-industrielle sans pont. Il est prioritaire de soutenir la protection totale de cette zone d'exclusion côtière (ZEC) et de veiller à ce qu'elle soit gérée en collaboration avec les communautés de pêche et dans leur intérêt.
Conditionner son soutien à la gouvernance des pêches à une transparence totale, en particulier sur l’attribution des licences, les données de captures et la communication d'informations par les États du pavillon.
Investir encore plus dans des programmes de subsistance pour les pêcheurs artisans et les transformatrices de poisson, y compris les femmes et les jeunes.
Continuer de financer des programmes communautaires de suivi, de contrôle et de surveillance (SCS) de manière à permettre aux communautés de pêche artisanale et à la société civile de documenter et de signaler la pêche INN.
Pourquoi le soutien à la pêche artisanale devrait être au cœur du partenariat entre l'UE et le Libéria
La lettre adressée en juillet 2025 à la NaFAA n’est pas seulement une critique d’un plan de gestion mal conçu : c’est un appel à une vision plus juste et durable de la pêche au Libéria. Une vision dans laquelle les pêcheurs artisanaux sont pleinement reconnus comme acteurs essentiels de la sécurité alimentaire, de la culture et la conservation de la biodiversité.
Soutenir la demande des pêcheurs libériens en faveur d'une zone d'exclusion côtière (ZEC) clairement définie et protégée par la loi sur 12 milles marins s'inscrirait dans une tendance régionale croissante : récemment, le Parlement ghanéen s'est engagé, dans le cadre de la révision de son projet de loi sur la pêche et l'aquaculture, à étendre sa ZEC de 6 à 12 milles marins afin de protéger les pêcheurs artisanaux et les écosystèmes côtiers contre le chalutage industriel destructeur. De même, le nouveau gouvernement sénégalais a inclus dans son programme électoral pour 2024 l'engagement de créer officiellement une zone de 12 milles marins réservée exclusivement à la pêche artisanale.
La promotion de telles réformes au Libéria renforcerait le leadership de l'UE en matière de gouvernance responsable des pêches et sa crédibilité dans la promotion de l'équité sociale et de la sécurité alimentaire en Afrique de l'Ouest.
Le soutien du secteur de la pêche artisanale libérienne n'est pas seulement la bonne chose à faire pour l'UE, c'est aussi la seule voie vers une économie bleue équitable et durable.
Photo de l'entête : Sunset Beach Buchannan, Sakpawea Town, Libéria, par Jacop Kpehe.
Encourager la réforme et l'élargissement de la zone exclusive côtière (ZEC) au Libéria renforcerait le rôle global de l'UE en matière de gouvernance responsable des pêches et s'appuierait sur les tendances régionales récentes, telles que l'extension de la ZEC au Ghana et l'engagement du gouvernement sénégalais d'élargir aussi la zone réservée à la pêche artisanale.