Activités des chalutiers sénégalais au Libéria: les compagnies incriminées par CAPE, SOPERKA et PEREIRA, s’expliquent

La SOPERKA, société de pêche sénégalaise, en société mixte avec la société espagnole Grupo Pereira, a souhaité réagir à notre article « Pêche expérimentale ou pillage expérimental au Libéria ? ».

M. Kandji, directeur général, M. Serrano, de la société Pereira, conseiller de la SOPERKA pour ses opérations de pêche, et M. Perez Bouzada, avocat, qui défend les intérêts de la société Pereira, se sont exprimés sur une série de questions soulevées dans l'article.

Qui est la SOPERKA ?

SOPERKA S.A est une société sénégalo-hispanique créée en 1999 sous l'appellation de KANBAL PECHE. En 2006, elle change de dénomination pour devenir SOPERKA S.A. Spécialisée dans l'exportation de produits de la pêche, basée à Dakar, la société est classée en Entreprise Franche d'Exploitation (EFE). Parmi les avantages que procure ce statut EFE figurent la réduction de l'impôt sur les sociétés (15%), et l’exonération des droits et taxes sur les importations qui rentrent dans l’exploitation de la société. La condition mise par les autorités pour bénéficier de ce statut est d’exporter au minimum 80% de la production afin de fournir des rentrées en devises au pays.

Mr Serrano, lors de l’entretien, insiste sur le fait que Grupo PEREIRA « est le partenaire minoritaire de la société ». Les trois bateaux chalutiers de la SOPERKA font partie de la flotte de l’armement Pereira. Le capital social de la compagnie sénégalaise SOPERKA, partenaire majoritaire, est de 100 millions de CFA (équivalant à un peu plus de 150.000 euros).

La compagnie opère trois chalutiers congélateurs, qui, en 2020, ont reçu des autorisations de pêche exploratoire pour la crevette profonde au Liberia dans le cadre de l’accord Sénégal-Libéria.

« Nos autorisations de pêche scientifique viennent à échéance fin 2022 »

Dans notre article, nous soulignions le fait que La loi de pêche du Liberia de 2019 prévoit le cas d’une « pêche de recherche à des fins scientifiques », soumise à une série de conditions: présentation aux autorités d’un plan de recherche détaillé, mais aussi « l’embarquement d’au moins deux scientifiques ou observateurs libériens pendant toute la durée de la recherche aux frais de la personne à qui l'autorisation est accordée ».

Le gestionnaire de la SOPERKA explique que la compagnie a bien remis les plans de recherche demandés aux autorités libériennes, mais confirme qu’il n’embarque qu’un observateur, « car l’espace à bord n’est pas suffisant ». Nous en avions conclu qu’il s’agissait là d’une illégalité. Mr Kandji nous détrompe sur ce point, expliquant qu’il n’était pas au courant de cette obligation. Il précise cependant que, si les autorités libériennes exigent que la loi soit respectée, bien sûr, la compagnie obtempérera.

Le respect de la zone de pêche artisanale au Liberia

Une des inquiétudes principales de la pêche artisanale libérienne par rapport à l’exploitation de la crevette profonde, c’est le fait que les bateaux de la SOPERKA opèrent au Liberia dans la zone de pêche entre quatre miles et six miles de la côte.

Au début des années 1980, les chalutiers étaient autorisés à opérer au Libéria en dehors de trois milles marins, mais en 2010, le gouvernement a déclaré une zone d'exclusion côtière de six milles marins accessible uniquement à la pêche artisanale et interdite aux chalutiers. Cela a permis de meilleures opérations de la flotte artisanale. Cette politique de zonage explique également de plus faibles captures de crevettes par les chalutiers. Cependant, ainsi que nous l’avions noté dans notre article, la section 4.3 du code de la pêche du Liberia sur la zone d’exclusion côtière donne la possibilité « aux navires de pêche industrielle crevettiers, céphalopodiers et autres navires pêchant les espèces côtières de chaluter au-delà des 4 milles marins », ouvrant ainsi une brèche dans la zone de pêche réservée à la pêche artisanale.

Mr Kandji explique : « Nous n’avons pas besoin de venir dans les 6 miles, car nous ne voulons pas de conflit avec la pêche artisanale dans la zone qui lui est réservée ». Et s’il est vrai, comme l’indiquent les données de Global Fishing Watch, que les bateaux de la SOPERKA ont pêché pendant plus de 7000 heures dans les eaux libériennes entre Octobre 2021 et Juillet 2022, le gestionnaire de la SOPERKA précise qu’ils n’ont passé que quelques heures dans la zone réservée à la pêche artisanale. « Franchement, pour nous, cette zone n’est pas importante, nous pourrions pêcher uniquement en dehors de la zone de 6 miles, car, venant du Sénégal, nous connaissons l’importance de la pêche artisanale », martèle-t-il.

On estime que le Kanbal III, l'un des chalutiers de la SOPERKA, pêche 35 kg de crevettes par heure. Global Fishing Watch a contrôlé 7000 heures de pêche dans les eaux libériennes depuis octobre 2021. Source : Capture d'écran de Global Fishing Watch.

Et pour ce qui est du taux de captures, que nous annoncions être, en moyenne, de 35 kg de crevettes profondes par heure de pêche? « Ca, c’est fantaisiste », selon Mr Kandji, « Parfois, on ne pêche rien en un jour, parfois, on pêche cent kilos ou plus ».

Une de nos critiques était également que, dans certaines zones où les chalutiers de la SOPERKA pêchent, dans des fonds d’une profondeur de 400 à 600 mètres, se trouve un environnement fragile composé de coraux et d'éponges. Récemment, le scientifique Ray Hillborn, confirmait que « certaines espèces benthiques, comme les coraux mous et les éponges, sont très sensibles au chalutage de fond car elles se tiennent bien au-dessus du fond et leur croissance est très lente. Quelques passages du chalut peuvent les éliminer complètement, et il peut s'écouler des décennies avant qu'elles ne reviennent ». Pour ce qui est de bateaux de la SOPERKA, « dans tous les cas, nos pêcheurs n’ont rien remarqué » déclare le responsable de la société.

Quoiqu’il en soit, depuis plusieurs années, les autorités libériennes se préoccupent de façon croissante de la protection des éco-systèmes marins vulnérables en eau profonde. Ainsi, en 2020, l’Autorité en charge de la pêche au Liberia, NaFAA, déclarait, dans un courrier aux Nations unies, l’engagement du pays à adopter une approche de précaution, et reconnaissait également la nécessité de renforcer ses capacités pour pouvoir protéger ces écosystèmes marins vulnérables « des effets néfastes importants de la pêche profonde ».

Mr Kandji précise que les autorisations de pêche scientifique pour les bateaux de SOPERKA viennent à échéance fin 2022: « Après cette date, le Liberia décidera de la suite à donner concernant l’exploitation de la crevette profonde. Si on nous en donne la possibilité, nous sommes prêts à conseiller de ne pas ouvrir la zone de pêche artisanale aux chalutiers ».

Le débarquement des captures

Dans notre article, nous nous interrogions également sur les bénéfices qui revenaient au Liberia de l’exploitation de ses crevettes d’eau profonde, - les carabineros-, dont le prix de détail peut atteindre jusqu’à 80 euros le kilo pour les plus grandes tailles. Mr Kanji confirme que « l’ensemble des captures est actuellement débarqué à Dakar, à cause du manque d’infrastructures au Liberia ». Les crevettes sont débarquées comme produit sénégalais, - « le poisson prend la nationalité du bateau qui le pêche » explique-t’il-, pour l’exportation vers des marchés lucratifs comme l’Espagne ou le Japon. Il insiste sur le fait que « la compagnie paie bien les 10% de la valeur des captures telle que demandée par l’autorisation de pêche ». Il convient également de noter que, vu que les crevettes ont été « sénégalisées » de par leur pêche par des bateaux sénégalais, la taxe à l'exportation de 10 % n’est pas due au Liberia.

Les attentes de la pêche artisanale

Réagissant à ces explications des compagnies, Gaoussou Gueye, Président de la Confédération africaine des Organisations Professionnelles de Pêche artisanale (CAOPA), qui compte dans ses membres la Liberia Artisanal Fishermen Association (LAFA) rappelle que la priorité, c’est que « les activités de pêche industrielle n’empiètent pas sur la zone réservée à la pêche artisanale et que les écosystèmes côtiers, garants de la résilience des communautés côtières, soient correctement protégés. Il est également important que la gestion de la pêche se fasse dans la plus grande transparence, au profit des populations. Nous encourageons les autorités du Liberia dans ce sens, en continuant, par exemple, à rendre publiques des listes mises à jour de bateaux autorisés à pêcher ».

Photo de l’entête: Une photo d'illustration, sans lien avec SOPERKA ou PEREIRA, montre des scientifiques et d'autres membres du personnel de l'agence National Oceanic and Atmospheric Administration à bord d'un navire d'exploration, provenant de la photothèque de la National Oceanic and Atmospheric Administration.