APPD UE-Libéria : à quoi devrait ressembler un éventuel futur protocole ?

Dans cet article, CAPE commente les ressources auxquelles la flotte de l'UE pourrait avoir accès dans la ZEE du Liberia, la nécessité d'une plus grande transparence et la manière dont l'UE peut contribuer positivement à la gouvernance de la pêche au Liberia

La commission mixte 2020 pour la mise en œuvre du protocole de l'accord de partenariat pour une pêche durable UE-Libéria (APPD) se termine aujourd'hui. Comme le protocole actuel expire le 8 décembre 2020, c'est également le moment où les deux parties vont envisager si et dans quelles conditions le protocole sera renouvelé. Fin mars 2020, la Commission européenne a publié une évaluation rétrospective et ex ante du protocole à laquelle ont contribué diverses parties prenantes de l'UE (opérateurs, États membres, syndicats et ONG), dont CAPE. Cette évaluation fournit des éléments clés d'analyse concernant la mise en œuvre du protocole et formule des recommandations sur le contenu et les conditions d'un éventuel futur protocole.

Les commentaires de CAPE se sont concentrés sur les défis, dans un éventuel futur protocole, pour le développement durable du secteur local de la pêche artisanale, composé d'environ 15000 pêcheurs et 25000 personnes actives dans la transformation et le mareyage, la plupart étant des femmes. Il s'agit notamment de savoir quelles sont les ressources auxquelles l'accès peut être envisagé, comment remédier au manque de transparence - notamment dans l'utilisation de l'appui sectoriel - et comment améliorer la contribution positive de l'UE à la gouvernance de la pêche au Liberia.

À l'avenir, l'accès devrait continuer à être limité au thon

En ce qui concerne l'accès aux ressources halieutiques dans la ZEE du Liberia, les interactions actuelles entre la flotte thonière de l'UE et les communautés de pêche côtières libériennes sont très limitées. Toutefois, CAPE est préoccupée par la proposition du Liberia, faite lors de la commission mixte UE-Libéria de 2016, d'étendre l'accord à d'autres types de pêche, comme la pêche à la crevette, dans le futur protocole. Comme aucun procès-verbal officiel du comité mixte n'est publié, nous ne savons pas comment l'UE a réagi à cette proposition du Liberia.

Étant donné le manque de données fiables sur l'état de ces stocks et sur l'effort de pêche global, il est impossible que l'UE et le Liberia puissent identifier un surplus potentiel, qui constitue la base d'un accès par le biais d'un accord. En outre, CAPE estime qu'une telle extension de l'accord, notamment au chalutage de crevettes, poserait des risques importants en termes de durabilité et pour les activités de pêche artisanale, menaçant la zone exclusive côtière (ZIE) qui leur est normalement réservée, car les crevettes se trouvent relativement près du rivage.

Un marché aux poissons sur un trottoir de Monrovia, au Libéria.

Un marché aux poissons sur un trottoir de Monrovia, au Libéria.

Cette proposition arrive alors qu’un accord de pêche a été signé entre le Sénégal et le Liberia en janvier 2019, permettant de pêcher jusqu'à 2 000 tjb de crevettes au chalut (5 navires) à partir de 4 milles marins (le texte de cet accord et du protocole est disponible sur demande auprès de CAPE). Il n'existe actuellement aucune information publique sur la mise en œuvre de cet accord entre le Liberia et le Sénégal, et sur la manière dont il a affecté la capacité de pêche globale dans les eaux libériennes. Pour remédier à cette situation, l'UE devrait encourager le Liberia à publier des listes régulièrement mises à jour des navires détenteurs d'une licence, en incluant un article sur la transparence dans un éventuel futur protocole.

Dans sa contribution à l'évaluation, CAPE a insisté sur le fait que l'accès, dans un futur protocole, devrait continuer à être limité aux seuls thonidés. Ce point a été quelque peu pris en compte dans l'évaluation, qui souligne que "le manque d'informations scientifiques sur l'état des stocks démersaux dans la ZEE du Liberia suggère l'exclusion des possibilités de pêche pour les poissons, céphalopodes ou crustacés dans le cadre d'un futur protocole". Toutefois, l'évaluation suggère que "la mise en œuvre de campagnes de pêche expérimentale dans les conditions prévues par l'article 7 du protocole actuel peut être une occasion précieuse d'accroître les connaissances scientifiques sur la pêche démersale au profit du Liberia. L'amélioration des connaissances scientifiques ouvre la voie à l'inclusion future de possibilités de pêche officielles à moyen terme". À notre avis, ouvrir le protocole à la pêche expérimentale des espèces présentes dans la ZEE, dans le but de préparer l'inclusion future de ces possibilités de pêche dans un protocole, n’est pas compatible avec une approche de précaution, menacera les activités de pêche artisanale dans la ZEE et mettra en péril leurs moyens de subsistance.

Les contribuables européens et les citoyens libériens doivent savoir ce qui est fait avec l'argent de l’appui sectoriel

L'évaluation a noté que plusieurs parties prenantes de l'UE (ETF, Europêche et CAPE) "ont constaté un manque de transparence sur l'utilisation de l'appui sectoriel, ce qui compromet la portée de l'accord visant à promouvoir une pêche durable dans les eaux libériennes et brouille la séparation des fonds entre les coûts d'accès et l'appui sectoriel, car le Liberia reçoit les deux sans avoir fourni de rapport significatif sur son utilisation. Ce manque de transparence empêche également les contribuables européens, ainsi que les citoyens et les communautés de pêcheurs libériens, de comprendre comment l'accord de partenariat dans le secteur de la pêche contribue à la gestion durable de la pêche et au développement local".

L'évaluation a également indiqué que ce manque de transparence est "démontré par le fait que la NaFAA [National Fisheries and Aquaculture Authority, ndla] ne prépare pas de rapports écrits sur la mise en œuvre de l'appui sectoriel, détaillant les activités et les résultats obtenus [...] Les ONG et les partenaires sociaux de l'UE ont également exprimé leurs préoccupations quant au fait que l'appui sectoriel de l'UE a été utilisée exclusivement pour soutenir le fonctionnement de la NaFAA, sans qu'aucune mesure d'appui sectoriel ne bénéficie directement aux communautés de pêche artisanale ou ne soit destinée à la formation des pêcheurs".

Compte tenu de ces lacunes en termes de transparence et de reddition de comptes, l'UE devrait, dans le cadre du dialogue avec le Liberia sur l'utilisation des fonds de l’appui sectoriel, insister sur la nécessité de produire ces rapports annuels, et les publier, afin d’en permettre l’examen par le public.

De bons progrès en matière de gouvernance, mais une plus grande cohérence est encore nécessaire

L'évaluation a souligné que "ETF et CAPE ont accueilli favorablement la disposition de l’APPD préservant la zone d'exclusion côtière (ZIE) de 6 miles pour les pêcheurs artisanaux locaux, ce qui a stimulé leurs activités. Tous deux ont souligné l'approche de l'UE consistant à adopter un accord de partenariat en matière de pêche comme plate-forme pour un dialogue plus large sur la durabilité de la pêche, et CAPE a encouragé l'UE à maintenir cette approche avec ses partenaires dans le cadre des APPD". La position officielle de la délégation de l'UE contre le décret présidentiel autorisant la réduction de la ZIE est un bon exemple de ce partenariat.

A protest by LAFA (Liberian artisanal fisheries association) against their Government’s “trawler-friendly move” in 2017. Photo: CFFA Archive.

A protest by LAFA (Liberian artisanal fisheries association) against their Government’s “trawler-friendly move” in 2017. Photo: CFFA Archive.

Un autre aspect positif de l'accord de partenariat dans le domaine de la pêche, signalé par CAPE mais non repris dans l'évaluation, est que, grâce aux droits de licence payés par les opérateurs de l'UE dans le cadre de l'accord de partenariat dans le domaine de la pêche, les recettes annuelles du Bureau National des pêches du Liberia ont augmenté et sont passé d’une situation où la source de revenus était essentiellement les amendes collectées à une situation où la source de revenus est principalement constituée des droits de licence, ce qui constitue une base plus durable pour la gestion des pêches.

D'autre part, l'évaluation a mis en évidence une préoccupation importante en matière de gouvernance, à savoir la nécessité d'améliorer la cohérence des actions de l'UE dans le secteur de la pêche au Liberia. En effet, NaFAA a souligné dans sa contribution à l'évaluation que "la valeur ajoutée de l'UE aurait peut-être été plus évidente si le dialogue sectoriel avait pu aborder en même temps les questions relatives à l'APPD, à la pêche INN et à la certification sanitaire. Bien que NaFAA reconnaisse que l'APPD est distinct des autres questions de pêche en discussion avec l'UE (conformité à la réglementation INN et contrôles sanitaires), les difficultés liées à ces différentes questions brouillent les relations générales avec la DG MARE et avec la délégation de l'UE, et génère certaines des frustrations ressenties par le NaFAA".

En particulier, en ce qui concerne la lutte contre la pêche INN, le Liberia a été pré-notifié en 2016, principalement parce que les navires de pêche et les navires frigorifiques battant pavillon libérien et opérant au niveau international ne sont pas contrôlés par l'autorité compétente en matière de pêche. La gestion des défis posés par le registre ouvert du Liberia est complexe. Au-delà de son rôle de plateforme de dialogue sur la durabilité, il n'est pas clair comment l’APPD peut contribuer à résoudre ce problème.

D'énormes sommes d'argent ont été dépensées ces dix dernières années (par la Banque mondiale/WARPF, des ONG, etc.) pour lutter contre la pêche illégale dans les eaux libériennes. Cependant, à ce jour, il semble y avoir très peu d'impact sur le terrain : en 2019, une initiative conjointe entre les autorités libériennes et l'ONG Sea Shepherd visant à contrôler les eaux libériennes décrivait encore la pêche INN dans les eaux libériennes comme "omniprésente". Dans le contexte de l’APPD, il s'agit d'une question importante, non seulement en termes de durabilité, mais aussi parce qu'elle affecte l'égalité des conditions de concurrence entre les différentes flottes opérant dans les eaux libériennes. Il est donc essentiel que l'UE, par l'intermédiaire de l’APPD ou dans le cadre des relations avec la Coopération au développement européenne DEVCO, recherche la possibilité d’ouvrir un dialogue avec les parties prenantes locales et les acteurs non communautaires, tels que la Banque mondiale sur la lutte contre la pêche INN. L'objectif de cette discussion devrait être d'évaluer les différentes actions entreprises et financées jusqu'à présent pour décourager la pêche INN, et de déterminer comment l'UE, y compris par l'intermédiaire de l'APPD, pourrait contribuer à une lutte plus efficace contre la pêche INN dans les eaux libériennes.

Photos: George Harris / REJOPRA, sauf quand spécifié.

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