APPD UE-Mauritanie: les demandes de la pêche artisanale et la société civile mauritaniennes

En juillet 2021, la Commission européenne signait, après deux ans de longues négociations et deux prolongations de protocole, un nouvel accord de partenariat pour une pêche durable (APPD) avec la Mauritanie.

Cet accord, qui remplace celui de 2006, couvre une période de 6 ans et est reconductible tacitement. Un protocole de 5 ans couvrant les aspects techniques a aussi été signé. Le Parlement européen discute un premier rapport par l’eurodéputée Izaskun Bilbao. Elle souligne que l’évaluation ex ante de la Commission « a conclu que le secteur de la pêche de l'UE était fermement intéressé par la pêche en Mauritanie et que le renouvellement de l’accord permettrait de renforcer le suivi, le contrôle et la surveillance et contribuerait à une meilleure gouvernance des pêches dans la région ».

Le nouveau protocole permet aux flottes européennes de pêcher dans les eaux mauritaniennes un total de 290,000 tonnes par an, dont 225,000 tonnes de petits pélagiques. Pour cela, l’UE versera une compensation financière de 57,7 millions d’euros par an ainsi que 16,5 millions d’appui sectoriel étalés sur cinq ans, en plus des redevances des armateurs. Selon l’évaluation de 2019, les fonds publics européens couvrent 77% des coûts d’accès. Il faut noter que dans ce protocole, les redevances ont légèrement augmenté pour certaines espèces, ce qui devrait accroitre les rentrées pour la Mauritanie, au prorata de l’utilisation des possibilités de pêche pour ces espèces.

Dans la perspective de la discussion de l’accord et de son protocole par le Parlement européen, CAPE a récemment organisé un échange avec les acteurs de la pêche artisanale et de la société civile mauritanienne pour discuter du contenu de ces nouveaux textes.

1. Accès aux ressources

a) Poulpe : réserver la ressource pour garantir le développement du secteur local

En 2012, après une campagne de quinze années, les pêcheurs artisans mauritaniens obtenaient une grande victoire le protocole APPD ne permettait plus aux navires céphalopodiers européens de pêcher en Mauritanie. Dès lors, la pêche locale de poulpe s’est encore mieux développée, apportant au pays une valeur ajoutée 8 fois supérieure à celle de la pêche industrielle. Le retrait de la flotte européenne a permis aussi à ce stock surexploité de l’être un peu moins.

Le retrait des céphalopodiers européens en 2012 a permis à la pêche locale de pouple de prendre son envol. Photo: Christian Seebeck.

Les pêcheurs artisans demandent depuis des années à leur gouvernement d’inscrire dans la loi que le poulpe leur soit réservé. La pêche du poulpe est aujourd’hui gérée par des quotas qui sont collectifs pour la pêche artisanale, et individuels et transférables pour la pêche industrielle. Depuis 2012, la fiche pour l’accès au poulpe reste dans le protocole d’APPD de l’UE, mais l’accès est toujours fixé à 0.

Cependant, selon des sources de la pêche artisanale, six navires espagnols et un portugais se seraient depuis re-pavillonnés en Mauritanie afin d’obtenir accès à cette ressource de grande valeur commerciale. Il est néanmoins difficile de confirmer cette information, car la liste récente de bateaux sous licence, récemment publiée dans le cadre de FiTI, ne contient pas les noms des navires.

b) Crevettes : des redevances menues pour une espèce à grande valeur commerciale

Les chalutiers européens ciblent les crevettes profondes et côtières, avec un total admissible de captures (TAC) de 5000 tonnes par an. De nombreux acteurs indiquent que cette pêcherie détruit l’environnement et qu’elle produit beaucoup de captures accessoires de haute valeur commerciale : 15% poissons, 10% crabes, 8% céphalopodes. La redevance des armateurs, même si elle passe de 400 à 450€/tonne, reste dérisoire, alors que la valeur première de vente de la crevette se situe autour de 15€/kilo, sans compter la valeur des captures accessoires.

c) Petits pélagiques : une gestion durable est indispensable

Dans un article récent de notre série sur la Mauritanie, nous analysions le changement de zonage de la pêche aux petits pélagiques, fixée depuis 2012 au-delà des 20 miles (nm), afin de protéger les stocks de sardinelle. Depuis avril 2020, elle est passée à 15 nm, ce qui pourrait provoquer une plus forte pression de la part de chalutiers étrangers sur les sardinelles surexploitées. Toutefois, le nouvel accord adopte une approche de précaution et la flotte de l’UE continuera de pêcher à 20 nm et ne pourra pêcher à 15 nm que si et quand « la Mauritanie adopte un plan pour la gestion durable des petits pélagiques ».

Les organisations de pêche artisanale mauritaniennes s’inquiètent que le rapprochement des flottes étrangères puisse aussi avoir un impact sur la route des bancs de courbines et mulets, espèces importantes pour la pêche traditionnelle.

Dans son rapport, Mme Bilbao remarque le manque de données sur les stocks en Mauritanie et « croit que l’appui sectoriel devrait être utilisé pour améliorer les données scientifiques ». À cet égard, le protocole prévoit de soutenir la recherche au travers de l’appui sectoriel et présente d’autre part des modalités plus précises pour l’embarquement d’observateurs scientifiques et pour l’échantillonnage des captures. Ceci est très bienvenu car certains navires européens refusaient systématiquement d’embarquer des observateurs, ce qui avait poussé la pêche artisanale à demander de « conditionner le renouvellement des licences à l’embarquement d’un observateur ».

Depuis des années, les organisations de pêche artisanale et de la société civile demandent la mise en place d’une organisation régionale de gestion des pêches (ORGP) pour gérer les stocks partagés en Afrique de l’Ouest. Photo: Le site de débarquement à Kafountine (Sénégal), par MEDIAPROD.

Le rapport de Mme Bilbao rappelle également que l’évaluation par la Commission du dernier protocole « demandait la mise en place d’un cadre de gestion régionale pour l’exploitation de stocks partagés de petits pélagiques ». Les représentants de la pêche artisanale et la société civile dans la région, comme la CAOPA, mais aussi les parties prenantes du Conseil consultatif de la pêche lointaine européenne, réclament depuis des années la création d’une Organisation Régionale de Gestion des Pêches (ORGP) pour les petits pélagiques. Les efforts continus de l’UE envers la création de cette ORGP devraient être un élément déclencheur pour une pêche véritablement durable dans la région. La coopération scientifique avec le Sénégal et la Gambie voisins de la Mauritanie et avec qui ces ressources sont partagées, doit aussi être encouragée.

d) Redevances en nature : les débarquements de petits pélagiques pour la sécurité alimentaire

Les armateurs continueront de débarquer 2% de leurs captures qui seront remises à la Société nationale de distribution de poisson de la Mauritanie. Grâce aux débarquements effectués dans le cadre de l’ancien protocole, la consommation locale de poisson a augmenté de 4 à 12 kg/personne/an. Malgré cela, aujourd’hui, le poisson est peu disponible sur le marché local, et plusieurs acteurs signalent que la majorité des débarquements de petits pélagiques se fait dans des camions non réfrigérés à destination des usines de farine. Selon les informations de la Société mauritanienne de commercialisation de produits (SMCP), 33% des petits pélagiques seraient exportés vers d’autres pays d’Afrique. D’autres dénoncent le fait que le reste des flottes étrangères ne débarquent pas de poissons pour la consommation humaine.  

La société civile de Mauritanie dénonce depuis des années le fait que les usines de farine sont trop nombreuses (plus de 25 en opération) et absorbent des poissons qui pourraient être destinés à la consommation humaine. Même s’il n’y a pas de législation spécifique, les cahiers de charges des usines détaillent qu’elles ne peuvent utiliser que des déchets. L’obligation récente pour les bateaux d’avoir un système de réfrigération à bord afin d’encourager son utilisation pour la consommation humaine n’a pas eu d’effet. Les pêcheurs artisans demandent que le nombre d’usines soit limité à 2 ou 3 pour absorber uniquement les déchets et espèces non consommables et, en même temps, que les capacités pour la transformation et conservation de produits destinés à la consommation humaine soient développées.

2.Transparence

a) La clause de transparence

La publication de données sur l’effort total de pêche est indispensable pour identifier un surplus et pour que l’APPD soit vraiment durable. L’évaluation de 2019, remarquait que la Mauritanie « n’a pas pleinement respecté la clause de la transparence ». Le rapport de Mme Bilbao fait écho à cette critique et « exige que la Mauritanie informe la Commission de tout accord public ou privé avec des navires étrangers », et que le pays communique « les informations sur tous les navires qui pêchent dans ses eaux dans un format accessible qui permet aux observateurs de se faire une idée globale de l'effort de pêche total ».

Une annexe inédite prévoit le rapport annuel sur ces activités de pêche par type de pêche (artisanale, côtière et hauturière) et par régime (national – pavillon mauritanien ou affrété, et étranger), et des tableaux concernant les totaux de captures effectuées par espèce. Le protocole, par contre, n’exige pas que ce tableau soit rendu public, cela relèverait d’une décision de la Mauritanie.

Compte tenu des engagements de la Mauritanie dans l’Initiative pour la transparence dans les pêches (FiTI), il est essentiel qu’elle respecte ses obligations dans la matière.

b) L’appui sectoriel

La Mauritanie et l’UE ont identifié plusieurs grands domaines d’intervention pour l’appui sectoriel. L’on peut souligner le soutien à la pêche artisanale et les communautés côtières, renforcement de la recherche scientifique et des capacités de suivi, contrôle et surveillance.

La rapportrice demande que la Commission « renforce les capacités administratives de la Mauritanie, notamment pour le nouvel organe de coordination ». Le nouveau protocole clarifie le rôle de cette ‘cellule d’exécution’ « chargée de coordonner la mise en œuvre en collaboration avec les bénéficiaires » et cherche à améliorer le suivi des fonds. Ceci est bienvenu car, selon les acteurs sur place, la cellule a simplement été mise en place, mais n’a pas fonctionné.

Le premier rapport présenté à la Commission de la Pêche du Parlement européen par l’eurodéputée Bilbao demande que les femmes soient inclues dans les processus de présentation et programmation de l’appui sectoriel de l’accord de pêche UE-Mauritanie. Photo: Femme fumeuse à Kafountine, par MEDIAPROD.

Le texte de Madame Bilbao demande une participation accrue des femmes « pour la présentation et la programmation des actions d’appui ». En général, les organisations de la pêche artisanale continuent de demander d’être mieux informées et impliquées dans la négociation et la mise en œuvre protocole, y compris l’appui sectoriel. La pêche artisanale voit également peu de retombées bien identifiées de l’accord de pêche sur son secteur.

« Le problème général de l’appui sectoriel », insiste Bilbao, « est son manque de visibilité » et demande la « publication des activités […] en permettant à ses retombées d'être pleinement visibles ». Il est impératif de mettre en lumière la manière dont les fonds ont été dépensés. Cela permettrait aussi un suivi plus rigoureux et une meilleure cohérence avec d’autres fonds pour le développement de la pêche locale.

c) Des investissements durables ?

Dans le nouvel APPD, l’article 10.4 vise la constitution de sociétés mixtes en notant que les parties encouragent « la promotion des investissements visant un intérêt mutuel ». La précaution devrait être de mise, surtout lorsque ces investissements sont proposés pour le secteur de la capture, comme par exemple le transfert de bateau via un repavillonnement. Plus généralement, l’UE devrait établir avec ses partenaires un cadre plus transparent pour que les investissements soient durables sur le plan environnemental et social.

Les organisations de pêche artisanale mauritanienne demandent plus d’investissements à terre, et que l’appui sectoriel, couplé avec d’autres actions, devienne un catalyseur d’investissements à terre visant à améliorer l’utilisation des captures pour la consommation humaine, une chose qui est essentielle pour éviter la transformation massive de poisson en farine et huile.



Photo de l’entête: Photo d’illustration, par Paul Einerhand.