OLVEA importe l’huile de poisson d’Afrique de l’Ouest : « Greenwashing » en action, transparence au point mort

Un épisode du magazine d’investigation Sources de ARTE, intitulé ‘Le saumon : une histoire d’enfumage’ retrace le parcours de la farine et de l’huile de poisson produite en Mauritanie jusqu’en Europe.

La production d’huile et de farine en Mauritanie contribue à la surexploitation des petits pélagiques, en particulier la sardinelle, ce qui menace l’avenir des communautés de pêche artisanale dépendant de ces ressources pour leurs activités, et fragilise la sécurité alimentaire des populations de toute la région.

Mais les bateaux qui pêchent les petits pélagiques pour la farine dégradent également l’environnement côtier. Les journalistes de ARTE ont ainsi suivi le senneur turc HICAZ 6. Ce type de navire peut pêcher 400 tonnes de petits pélagiques par sortie. En 2021, le HICAZ 6 a réalisé 102 sorties en mer, en restant toujours relativement proche de la côte, dans la zone où se concentrent les sardinelles : « En croisant ces trajets avec les données sur la profondeur des océans, on voit que cette zone ne dépasse pas les 100 mètres de profondeur. Avec son filet qui descend jusqu’à 150 mètres, le Hicaz-6 racle le fond, ne laissant aucune chance aux poissons » explique le reportage réalisé par la journaliste d’ARTE Linda Bendali. Ce navire, comme les autres senneurs qui pêchent pour la farine et l’huile, débarquent leurs prises au port de pêche de Nouadhibou, ou bien directement sur les quais des usines de farine de poisson.

En 2021, le senneur turc HICAZ 6 a effectué plus de 100 sorties en mer. En une seule sortie, il peut capturer plus de 400 tonnes de petits pélagiques. Photo : Capture d'écran du documentaire d'ARTE.

Si la farine de poisson de Mauritanie est surtout exportée vers l’Asie, la Chine en tête, l’huile vient en grande partie en Europe. Au premier rang, la compagnie française OLVEA, qui a importé de Mauritanie plus de 15.000 tonnes d’huile en 2020. Basée à Fécamp, en Normandie, OLVEA dispose également d’une usine à Nouadhibou. L’entreprise affiche 162 millions d’euros de chiffres d’affaires, compte 12 filiales et un effectif de près de 300 personnes dans le monde. OLVEA commercialise chaque année 49.000 tonnes d’huile, un tiers provenant de Mauritanie.

Dr Jekyll ou Mr Hyde?

Sur son site internet, l’entreprise affiche volontiers ses engagements en matière d’environnement, notamment celui-ci : « OLVEA Fish Oils s'engage à s'approvisionner en huiles de poisson dans des zones de pêche où les stocks de poissons ont été contrôlés et évalués par la FAO et les instituts de recherche locaux comme ne risquant pas de s'effondrer ». Le fait que les ressources de sardinelles rondes, les plus prisées des populations locales, sont considérées par la FAO comme fortement surexploitées en Afrique de l’Ouest a dû leur échapper.

Nous avions pourtant déjà tiré la sonnette d’alarme en 2019, dénonçant le fait que OLVEA finance et s’engage dans un «Fisheries Improvement Project» (Projet d'Amélioration de la Pêche : FIP) en Mauritanie, visant à aider l'industrie de la farine et de l’huile à gagner ses galons verts. Comme nous l’avons encore démontré récemment, ce FIP se développe au mépris de la situation déplorable des ressources exploitées par l’industrie de la farine et de l’huile de poisson en Afrique de l’Ouest.

La société française Olvea affirme que ses huiles proviennent de « sources responsables », c’est-à-dire, d'eaux où les stocks de poissons ne sont pas surexploités, ce qui est loin d'être le cas en Afrique de l'Ouest, où le stock de sardinelles, un petit pélagique, risque de s'effondrer. Photo : Capture d'écran de la page d'accueil du site web d'Olvea.

Mais par contre, quand il s’agit de répondre aux questions des journalistes, OLVEA fait la sourde oreille. Sur son site, la compagnie n’affiche aucun contact pour les médias. ARTE essaie de téléphoner à la chargée de communication de OLVEA, mais celle-ci ne répond pas et bloque ensuite le numéro des journalistes. Aucune suite ne sera non plus donnée aux relances par mail. Mais le manque de transparence va plus loin : « OLVEA est une entreprise discrète. Au registre du commerce elle ne publie pas ses comptes depuis 2018, ce qui est illégal », explique ARTE.

Mais où va l’huile ?

ARTE poursuit son enquête en suivant les tankers qui transportent l’huile de poisson : « Plusieurs tankers, le KEY BAY, le KEY BREEZE, le KEY SUND et le KEY WEST, s’arrêtent régulièrement au port de Fécamp, où Olvéa dispose d’un quai dédié ». Ces navires font escale à Nouadhibou pour charger de l’huile plusieurs fois par an, puis desservent le port de Fécamp et d’autres ports en Norvège, au Royaume Uni et aux Pays Bas où se trouvent des producteurs de nourriture pour poissons ou bien des producteurs aquacoles.

La production de farine et d'huile de poisson entraîne une surexploitation de la sardinelle. La sardinelle est un aliment de base dans la région, essentiel pour la sécurité alimentaire et contribuant fortement aux moyens de subsistance des communautés de pêcheurs artisanaux. Photo : Une usine de farine de poisson, capture d'écran du documentaire d'ARTE.

En octobre 2022, le KEY BAY est filmé en train de charger de l’huile au port de Nouadhibou. Arrivé à Fécamp début Novembre pour vider une partie de son chargement en huile pour OLVEA, il fait ensuite route vers la Norvège. « Il rejoint le petit port de pêche de Valsneset, où il n’y a qu’une seule industrie : MOWI, le plus grand producteur au monde saumon d’élevage de l’Atlantique », nous révèle le reportage d’ARTE. L’huile débarquée là-bas est intégrée dans la nourriture des saumons, qui sont vendus partout dans les chaînes de supermarchés en Europe…

Une lueur d’espoir ?

Les allégations d’entreprises importatrices européennes comme OLVEA concernant la durabilité des conditions de production de leur huile de poisson provenant de Mauritanie sont mensongères et cachent le fait que l’industrie de l’huile et de la farine de poisson en Afrique de l’Ouest contribue fortement à la surexploitation des ressources dont les communautés côtières dépendent pour vivre.

Se pourrait-il que ce modèle d’opacité bien huilé soit un jour secoué par l’Union européenne ? Les institutions européennes discutent actuellement le devoir de diligence des entreprises pour les encourager à avoir un comportement durable et responsable. Les entreprises seront tenues d'identifier et, le cas échéant, de prévenir, de faire cesser ou d'atténuer les effets négatifs de leurs activités sur les droits humains et sur l'environnement, par exemple la pollution et l'appauvrissement de la biodiversité. Après une période d’adaptation, cette directive couvrirait les sociétés qui emploient plus de 250 personnes et réalisent un chiffre d'affaires net de 40 millions d'euros… Tout à fait le portrait d’OLVEA.

Photo de l’entête : L'entrée du port de Fécamp, en Normandie, par Benoît Deschasaux.