Sommet UA-UE : Des engagements à haut niveau, mais les communautés de pêche artisanale veulent du concret

Près d’une centaine de représentant.e.s. de la pêche artisanale, de la société civile et d’institutions africaines et européennes ont participé jeudi 10 février 2022 à un webinaire organisé par la Confédération africaine des organisations de pêche artisanale (CAOPA).

Dans la perspective du sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine les 17 et 18 février, la CAOPA et ses partenaires ont voulu lancer le débat sur comment le partenariat Afrique-Europe peut épauler la pêche artisanale. Suite au webinaire, la CAOPA, AFRIFISH et d’autres OSC ont signé une déclaration demandant aux décideurs européens et africains d’unir leurs forces pour soutenir la pêche artisanale durable en Afrique.

Le webinaire a compté avec les interventions d’hommes et femmes travaillant dans la pêche artisanale ainsi que d’experts dans des questions de pêche. Le modérateur, l’halieute et ancien directeur du Centre de recherche océanographique de Dakar-Thiaroye (CRODT), Dr. Alassane Samba, a commencé par souligner les éléments du cadre qui guide les relations UE-UA en matière de pêche. Il a aussi rappelé deux demandes clés des communautés de pêche artisanales africaines : la mise en œuvre des Directives volontaires de la FAO pour une pêche artisanale durable et la gestion concertée des petits pélagiques en Afrique de l’Ouest à travers la création d’une organisation régionale de gestion des pêches (ORGP).

L’année 2022 a été décrétée par les Nations unies Année Internationale de la Pêche et de l’Aquaculture artisanale. À cette occasion, la CAOPA, qui représente des hommes et des femmes travaillant dans la pêche artisanale maritime et continentale dans 27 pays d’Afrique, a développé ses priorités de plaidoyer pour cette année, présentées durant le webinaire par leur président, Mr. Gaoussou Gueye. Leur première demande est que les Etats octroient des droits de pêche exclusifs aux pêcheurs artisans dans les zones côtières, qui seraient entièrement cogérées entre l’État et les pêcheurs. Et il a rajouté que cette « gestion devrait donner la priorité d’accès à la pêche pour la consommation humaine directe, plutôt qu’à l’industrie de la farine et de l’huile de poisson ».

Deuxièmement, la promotion de la place des femmes dans la pêche artisanale, surtout leur participation au sein des organisations professionnelles mais aussi la « nécessité d’investissements dans les services et infrastructures comme l’eau potable, l’égouttage, l’électricité… » sur les sites de transformation de poisson où elles travaillent. Puis finalement, Mr. Gueye a insisté sur le fait que « une approche de précaution doit guider le développement de l’économie bleue » en rappelant que d’autres secteurs plus puissants font la concurrence à la pêche artisanale et que celle-ci devrait être protégée.

Les panélistes : transparence, femmes, accès aux ressources

Mme Teri Tuxson, la première de trois panélistes, représentant le réseau du Pacifique des zones marines gérées localement (LMMA), a expliqué comment les zones marines peuvent être mieux gérées, avec la participation des communautés : « cela commence par leur sensibilisation et l’amélioration de leurs capacités, ainsi que faciliter leur présence dans les processus de prise de décision ». Pour elle, la transparence est cruciale pour une gouvernance responsable des ressources marines et côtières.

La présentation de Mme Micheline Dion, responsable du programme de la CAOPA, s’est centrée sur les capacités d’innovation dont font preuve les femmes dans la pêche artisanale et de leur contribution à la sécurité alimentaire, à la création d’emplois et à la lutte contre la pauvreté. Elle a parlé ainsi de plusieurs initiatives, notamment, la pisciculture artisanale couplée à la production de légumes, l’introduction de fours plus performants et moins polluants pour la transformation de poisson, comme les FTT ou les fours solaires, et d’accès à des logements décents, des crèches ou des écoles pour les enfants.

Des critiques énoncées par les participant.e.s ont été répercutées dans la déclaration conjointe à l’occasion du sommet UE-UA : « La participation des acteurs de la pêche artisanale par des moyens appropriés doit être une priorité pour la définition, la mise en œuvre et l’évaluation des résultats des projets pêche soutenus dans le cadre du partenariat UE-UA ». Photo: Agence MEDIAPROD.

Les acteurs de la pêche en Afrique doivent noter une date clé, le 19 Novembre 2021, car elle a donné naissance à la plateforme panafricaine des acteurs non-étatiques (ANE) de la pêche et de l'aquaculture (AFRIFISH), composée de représentants des ANE régionaux. Mr. Okeloh Namadoa, le troisième panéliste, a expliqué les objectifs d’AFRIFISH. « La priorité d'accès aux ressources halieutiques et marines DOIT être garantie aux pêcheurs artisans africains, conformément à l'objectif de développement durable (ODD) 14b, qui est de garantir l'accès aux ressources qu'ils exploitent et aux zones où ils pêchent », et a rappelé que la pêche et l'aquaculture constituent la plus grande composante du secteur de l'économie bleue en Afrique.

Et l’Union européenne dans tout ça ?

Finalement, Mme Anaïd Panossian, juriste experte de CAPE, a présenté les grandes lignes du soutien de l’UE à la pêche artisanale africaine : « De 2014 à 2020, un montant estimé à 720 M d'euros a été engagé pour promouvoir une meilleure gouvernance des océans dans les pays partenaires », dont 40 projets concernant la pêche et l’aquaculture, l’Afrique étant la principale bénéficiaire des fonds. Mme Panossian a insisté sur le fait que l'UE a fait des progrès en matière d'inclusion des OSC, mais que cela est loin d'être acquis au niveau des administrations africaines et des organisations régionales. « Il est du devoir de l'Etat partenaire d'avoir la même approche, de favoriser la participation des OSC aux processus de décision, de consulter systématiquement les organisations professionnelles et de concevoir les projets avec elles », a-t-elle conclu.

Les participant.e.s ont ensuite eu l’occasion de poser des questions ou d’ajouter des éléments au débat, qui s’est centré autour de questions comme l’amélioration de l’efficacité des financements alloués dans le cadre du partenariat UE-UA, la participation des communautés côtières dans la gestion des ressources, l’harmonisation des politiques pour les ressources partagées – notamment les petits pélagiques, et l’importance du soutien à la recherche.

La participation des communautés est essentielle

Le lundi 14 février, la CAOPA est aussi intervenue dans un panel de haut niveau intitulé « Favoriser un dialogue transcontinental Afrique-Europe sur la gouvernance des océans » où le commissaire européen pour l’environnement, les océans et la pêche, Mr. Virginius Sinkevicius a annoncé la création d’une taskforce « bleue » UE-Afrique sur la gouvernance des océans. Les intervenants à la table ronde ont invoqué le caractère « inclusif » de cette taskforce. CAOPA a insisté sur l’importance de la participation des communautés côtières et de pêche dans la prise de décision, soulignant les exemples de réussite d’Aires Marines Protégées établies et gérées par les communautés de pêche en Afrique de l’Ouest. 

Durant le webinaire de jeudi dernier plusieurs représentants de communautés de pêche ont évoqué le manque de contrôle après le financement pour garantir que les fonds sont utilisés de manière optimale et servent les intérêts des communautés côtières. De nombreux engagements sont pris « à haut niveau » et des promesses d’appui à la pêche artisanale sont faites, mais les communautés à la base voient peu de résultats concrets. Ces critiques ont été répercutées dans la déclaration conjointe publiée aujourd’hui à l’occasion du sommet UE-UA : « La participation des acteurs de la pêche artisanale par des moyens appropriés doit être une priorité pour la définition, la mise en œuvre et l’évaluation des résultats des projets pêche soutenus dans le cadre du partenariat UE-UA ».


Plus d’informations:

  • Vous pouvez réécouter le webinaire ici.

  • Lisez la déclaration commune ici.



Photo de l’entête: femme transformatrice à Kafountine, en Casamance au Sénégal, Agence MEDIAPROD.