Des logements sociaux abordables pour améliorer les conditions de vie des transformatrices de poisson en Côte d’Ivoire

Le samedi 22 janvier était un jour de fête pour les 4651 femmes affiliées à l’Union des Sociétés Coopératives des Femmes de la Pêche et assimilées de Côte d’Ivoire (USCOFEP-CI). Nombre d’entre elles venues des quatre coins du pays ont assisté à la cérémonie de pose de la première pierre de la Cité Aronia, un projet de 500 logements sociaux à prix abordable auxquels elles auront accès après un apport initial de 1,5 M francs CFA (2 300€) et une location-vente qui permettrait l’achat du logement en une dizaine d’années.

« Cette cité va servir d’exemple, en Côte d’Ivoire et dans les autres pays africains, pour montrer comment améliorer les conditions de vies des femmes », déclare la présidente de l’USCOFEP-CI, Mme Micheline Dion. Mme Dion explique que ces femmes vivent actuellement dans une précarité extrême et souvent dorment sur les sites de transformation, avec leurs enfants, sans eau courante, ni électricité, dans la fumée et les odeurs. Ceci a un impact sur leur santé ainsi que sur l’éducation de leurs enfants.

Selon une étude d’une équipe de chercheurs de l’Université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan Cocody, 50% des femmes ont des problèmes respiratoires à cause de leur travail, 17% souffrent de fièvre typhoïde ou de problèmes de tension artérielle. Selon ces chercheurs, l’usage du four traditionnel nuit à la santé des femmes fumeuses, gravement affectée du fait de l’exposition prolongée aux fumées et à la chaleur.

Des années de plaidoyer et des objectifs concrets

Pour améliorer leurs conditions de vie et de travail, ces femmes de l’USCOFEP-CI s’étaient réunies il y a près d’un an à l’occasion de la Journée mondiale de la femme pour faire le point sur les progrès accomplis et pour formuler des recommandations. Elles s’y étaient établis deux buts : l’accès à des logements sociaux et des soins de santé abordables.

 

À gauche, Micheline Dion, Présidente de l’USCOFEP-CI, pose la première pierre avec un représentant du promoteur immobilier et l’autorité coutumière de la commune. Photo: USCOFEP-CI

 

Aujourd’hui, c’est un rêve qui voit le jour doucement. Le 9 janvier 2021, les femmes de l’USCOFEP-CI ont signé d’abord une convention avec le promoteur immobilier « Aronia-geo et énergies », une entreprise ivoirienne, pour la construction de la cité, qui se trouve à entre une demi-heure et une heure de trajet de leur lieu de travail. Elles ont aussi signé un accord d’assurance santé sur base de la couverture de maladie universelle (CMU) de l’état pour les familles des femmes transformatrices.

Chacun de ces logements compte de 3 ou 4 pièces, coute 13,5 Millions de francs CFA (20 600€). Les femmes y auront accès avec un apport personnel d’1,5 Million FCFA et d’une location-vente mensuelle qui peut s’étaler sur 10 à 13 ans. Elles seront propriétaires après l’achat. Le premier logement témoin devrait être finalisé aux environs du mois d’avril.

L’accès à la matière première demeure le principal défi

Les revenus potentiels pour une femme transformatrice sur les 3 mois de la saison de pêche artisanale peuvent atteindre jusqu’à 4 Millions de francs CFA (plus ou moins 6 100€). Cependant, le reste de l’année, quand il n’y a pas de poisson, ces femmes transforment du poisson débarqué par les navires pavillonnés ivoiriens mais opérés par des entreprises chinoises ou bien même transforment du poisson surgelé et des produits d’aquaculture. Elles peinent à gagner de 90-150 000 CFA (140-230€) par mois, en combinant la transformation du poisson avec d’autres activités.

En juillet 2020, une petite victoire pour les femmes de l’USCOFEP-CI. Le Ministère des ressources Animales et Halieutiques ivoirine (MIRAH), par le biais du Programme d’Appui à la Gestion Durable des Ressources Halieutiques (PAGDRH), a ainsi mis en place un fond, provenant de la contrepartie financière de l’Accord de partenariat pour une pêche durable (APPD) avec l’Union européenne, pour contribuer à améliorer le revenu des femmes transformatrices.

Avec un premier montant de 17 Millions de francs CFA (approx. 26 000€), l’USCOFEP-CI a acheté un conteneur frigorifique de quarante pieds pour la conservation et conditionnement du poisson. Le comité de gestion interne de l’USCOFEP-CI a décidé de le placer à San-Pedro, une zone poissonneuse 300 km à l’Ouest d’Abidjan, où, étant donné le manque de moyens de conservation, de grandes quantités de poisson débarqués sont perdues. Grâce au conteneur frigo, les femmes transformatrices ont pu y entreposer le poisson durant les périodes de couvre-feu et confinements successifs en Côte d’Ivoire, restrictions imposées pour lutter contre la pandémie Covid-19.

 
En juillet 2020, une petite victoire pour l’USCOFEP-CI: au travers d’un fond mis en place dans le cadre de l’accord de pêche UE-Côte d’Ivoire, les femmes ont acheté un conteneur frigorifique pour conserver le poisson. Photos: USCOFEP-CI

En juillet 2020, une petite victoire pour l’USCOFEP-CI: au travers d’un fond mis en place dans le cadre de l’accord de pêche UE-Côte d’Ivoire, les femmes ont acheté un conteneur frigorifique pour conserver le poisson. Photos: USCOFEP-CI

 

Micheline Dion insiste, toutefois, qu’« il faut absolument créer et soutenir d’autres activités supplémentaires pour aider ces femmes à avancer ». L’été dernier elle avait déclaré que « la concrétisation de la promesse de mettre à disposition du ‘faux thon’ serait une manne ».

Le protocole actuel de l'APPD encourage les armateurs de l'UE à vendre une certaine quantité de "faux thon" (thon endommagé ou trop petit, ou les prises accessoires non utilisées par les conserveries) directement aux coopératives ivoiriennes de femmes transformatrices de poisson, et le soutien sectoriel de l'APPD comprend un fonds pour les aider à acheter le poisson.

Néanmoins, la non-disponibilité du faux thon vendu directement aux femmes transformatrices de poisson signifie qu'elles n'ont accès qu'à la matière première vendue par des intermédiaires à des prix prohibitifs. L’USCOFEP-CI à l’objectif de s’assurer que ces femmes aient accès à la matière première pour continuer leurs activités, en continuant le plaidoyer pour leur prise en compte et d’avoir un accès au faux thon.

Mise en œuvre directives Pour une pêche artisanale durable

Mme Dion fait référence à la mise en œuvre des Directives volontaires pour une pêche artisanale durable de la FAO. Le chapitre six de ces directives fait effectivement référence au développement social, et à l’emploi et le travail décent sur toute la chaîne de valeur de la pêche artisanale. Notamment, que les membres de communautés de pêche « aient accès à des conditions abordables à ces services publics essentiels ainsi qu’à des […] logement décent, services d’assainissement indispensables sûrs et hygiéniques, eau potable pour des usages personnels et domestiques et sources d’énergie ».

 
 

Mais cette cité répondra à d’autres besoins pressants soulignés par les directives, comme le point 6.14 qui demande à l’État « d’assurer et de favoriser l’accès aux écoles […] en respectant […] l’égalité des chances pour tous, garçons et filles, hommes et femmes ». Le point 6.15 est consacré au bien-être des enfants. Mme Dion dit qu’il est prévu que la cité « ait une école de la maternelle à la terminale » ainsi qu’un « espace de jeux pour les enfants ».

La cité aura aussi un centre de santé qui va servir à suivre la santé de ces femmes déjà fragilisée par l’exercice de leur métier ainsi que va sensibiliser par rapport au VIH et d’autres maladies sexuellement transmissibles qui sévissent dans les communautés de pêche artisanale.

Finalement, il est prévu dans les plans de la cité : un télécentre numérique (où il pourra aussi y avoir des petites formations à l’utilisation de l’informatique), une salle de réunion pour les femmes, et un centre commercial avec une banque, un supermarché et des restaurants.