Côte d’Ivoire : « Grâce à ce container frigorifique, les transformatrices et mareyeuses de San Pedro arrivent à s’en sortir "un peu" »

MAMADOU ALIOU DIALLO, Journaliste

Cet article a été écrit en collaboration avec Aliou Diallo, journaliste guinéen et reporter d’images et actuellement le responsable de communication de la Confédération africaine d’organisations professionnelles de pêche artisanales (CAOPA), basé à Mbour (Sénégal).

Il est 15h un weekend du mois mars quand nous arrivons au port de pêche artisanale de San Pedro, qui se trouve dans l’enceinte du port industriel. San Pedro est le principal port d’exportation de cacao, de caoutchouc et de noix de cajou de Côte d’Ivoire.

Séparé du quai de pêche artisanale pas un mur de deux mètres de hauteur, le site compte deux hangars et un parking. Sous le premier hangar, à droite, rouillent de vieux frigos, « des carcasses », disent les femmes transformatrices, reconvertis en glacières de fortune. Ces carcasses contrastent avec le long container de 40 pieds, bien à l’ombre dans un coin, acquis il y a un peu plus de deux ans par la coopérative de femmes transformatrices et mareyeuses de San Pedro grâce à un financement issu de l’appui sectoriel de l’Accord de pêche UE-Côte d’Ivoire.

Nous attendons quelques minutes pour rencontrer Bakayoko Nouhou, secrétaire général de la Société Coopérative de Femmes Mareyeuses Grossistes et Détaillantes du port de pêche de San Pedro (SCFMGD-SP pour les amis), qui se trouve à la prière. À cette heure-ci, peu de mouvement au niveau du container. Une femme seulement est venue chercher quelques listaos et trois gros thons albacore, ingrédient essentiel du garba, le plat national ivoirien à base de thon frit et d’attiéké (semoule de manioc fermenté). Elle attend aussi patiemment Nouhou, qui arrive avec un cahier sous le bras et donne l’autorisation d’ouvrir le container à l’employé qui note les entrées et sorties.

Le financement, l’éternel défi des femmes transformatrices

Pour chaque utilisation du container, les membres de la coopérative paient 50 francs CFA par kilo, montants qui reviennent à la coopérative. Aujourd’hui, Nouhou vend son thon à 1100 francs le kilo et ses trois poissons pèsent presque 93 kilos. Aucun argent n’est échangé dans l’immédiat. La maman paiera quand elle aura vendu sa marchandise, peut-être dans une semaine. Si elle ne fait pas de bénéfices, elle ne reviendra que quand elle aura de l’argent.

Une détaillante de la Société Coopérative de Femmes Mareyeuses Grossistes et Détaillantes du port de pêche de San Pedro arrive à la troisième ouverture du container (15h-18h30) pour acheter trois thons albacore (93kg) et quelques listaos. Le thon coûte 1100 francs CFA le kilo. Elle ne paiera que quand elle aura pu écouler sa marchandise. Photo: Joëlle Philippe/CAPE.

Le grossiste sourit : « Il faut aider les femmes et leur faire crédit, sinon elles ne peuvent pas travailler ». Bunia Françoise, une détaillante qui arrive une heure après, n’a pas l’avantage des grossistes comme Nouhou, « si je revends du poisson aux femmes, je suis obligée d’attendre qu’elles vendent. Mais si du poisson arrive en attendant, qu’est-ce que vous faites ? Puisque vous n’avez plus d’argent… Certaines semaines tu travailles, et d’autres semaines tu ne travailles pas, parce que ton argent n’est pas rentré ».

Entre les deux hangars, en plein soleil dans le parking, par contre, ça travaille. C’est pour les « gros clients » d’Abidjan. Aussitôt les espèces nobles débarquées, comme la carpe rouge ou le mérou, celles-ci sont placées dans des cartons tapissés de bâches et saupoudrées de glace. Elles feront la longue route pour Abidjan (environ neuf heures) et seront distribuées sur place pour les grands restaurants ou transformées pour les chaînes de supermarchés.

Ces espèces nobles, les femmes n’en voient pas la couleur. En fait, le trafic du container est au ralenti, car en mars, ce n’est pas la saison pour la pêche artisanale. « À San Pedro, la pêche ne s’arrête pas, sauf quand le temps est mauvais », explique Bakayoko Nouhou. Certes, quelques grandes pirogues vont jusqu’au Libéria pour pêcher à la ligne toute l’année, mais les membres de la coopérative SCFMGD-SP n’ont pas la capacité de financer ces sorties : « Ici, chaque pêcheur a son armateur. Quand le pêcheur va à la pêche, c’est son client qui fait les dépenses, qui achète les sardines [Ed. Les appâts], les lignes, l’essence, pour pouvoir aller à la pêche ».

Aussitôt les espèces nobles, comme le mérou ou la carpe rouge, sont débarquées, elles sont empilées dans des grands bacs remplis de glace pour faire 9h de route entre San Pedro et Abidjan. Celles-ci sont seront distribuées dans restaurants et supermarchés par des plus grandes sociétés. Photo: JP.

La conservation du produit, une bataille gagnée

« Grâce à ce container, nos membres arrivent à s’en sortir un peu », explique le secrétaire de la coopérative. L’avantage, c’est qu’il est tout près du quai de pêche artisanale : « Quand le poisson arrive, nous le distribuons à nos membres et le reste, nous le mettons dans le container pour le lendemain. Si nous voyons que le marché est saturé, nous conservons nos produits pour ne pas qu’ils soient gâtés », précise Bakayoko. Les membres de la coopérative sont surtout des mareyeuses et transformatrices qui approvisionnent le marché local et elles fument leurs produits à la maison, faute d’un site adéquat pour le fumage.

Bakayoko Nouhou continue de remercier l’UE pour l’octroi du container, même s’il reconnait qu’à eux seuls, ils n’arrivent pas à le remplir. « Il peut contenir jusque 40 tonnes de poisson. Nous ne pouvons pas avoir 40 tonnes de poisson sur le port de San Pedro, car c’est une pêche artisanale ». C’est pourquoi la SCFMGD-SP loue aussi des espaces à d’autres clients. Mais Mme Bunia croit qu’ils n’en profitent pas assez : le manque d’étagères dans le container empêche la fraîcheur de se « dégager comme il se doit […]. Nous sommes obligés de mettre [le poisson] à terre et d’empiler les caisses ».

Le container n’a pas d’étagères, ce qui complique le stockage de grandes quantités de poisson, surtout durant la saison de pêche artisanale. Photo: Joëlle Philippe/CAPE.

L’utilisation de l’électricité est un défi, non seulement pour les coûts (jusqu’à 85,000 CFA par mois, c’est-à-dire, 130€), surtout à la saison où le poisson est débarqué en grandes quantités, mais aussi à cause des pannes et des coupures de courant. Quand ça arrive, ils informent les membres et n’ouvrent le container que si strictement nécessaire, « mais si nous voyons que ça va prendre longtemps, nous empruntons le générateur du port, pour ne pas que nos produits pourrissent ».

La SCFMGD-SP est membre de l’Union des Sociétés Coopératives des Femmes de la Pêche et assimilées de Côte d'Ivoire (USCOFEP-CI), qui réfléchit à d’autres solutions pour la préservation du poisson. Par exemple, à Grand-Béréby, à une heure de route vers le Libéria, les femmes de la coopérative DECOTHY et l’USCOFEP-CI se sont associées avec une ONG locale, Conservation Espèces Marines (CEM), pour l’installation d’un complexe fonctionnant à l’énergie solaire, avec un container frigorifique de 20 pieds, une dimension plus adaptée à la production locale.



Photo de l’entête: Un jeune chargeur de port de pêche artisanale de San Pedro emmène en brouette trois thons albacore qui sortent du frigo-container, par Joëlle Philippe.