L'initiative de financement de l'économie bleue durable : comment détruire les océans de façon responsable

2022 est l'Année internationale de la pêche et de l'aquaculture artisanales (IYAFA). Les communautés de pêcheurs sont confrontées à de nombreux défis, notamment les effets du réchauffement climatique, ou la concurrence d'autres secteurs "bleus", dont la plupart sont mis en avant pour une reprise économique rapide face à la pandémie.

Pour faire face à tous ces problèmes et garantir le développement durable de la pêche artisanale africaine, la Confédération Africaine des Organisations de Pêche Artisanale (CAOPA) a appelé à la mise en œuvre des Objectifs de Développement Durable (ODD), en particulier le 14b, qui demande de "garantir l'accès aux ressources halieutiques et aux marchés pour la pêche à petite échelle" et a identifié trois domaines d'action prioritaires pour la pêche artisanale africaine : (1) sécuriser l'accès aux ressources, (2) promouvoir la place des femmes et (3) la protéger des secteurs concurrents.

Nous commençons une série sur les actions que l'UE devrait entreprendre, dans le cadre de son partenariat avec l'Afrique et en tant que championne de la gouvernance internationale des océans (GIO) et de la pêche durable, pour soutenir la pêche artisanale africaine. La série examinera les actions de l'UE dans le cadre du partenariat Europe-Afrique, des investissements dans l'économie bleue et, enfin, de la dimension extérieure de la politique commune de la pêche.

Introduction

Les efforts internationaux visant à développer l'"économie bleue" s'accompagnent de prévisions surprenantes concernant la croissance de nombreux secteurs maritimes. L'OCDE prévoit que la valeur économique des entreprises maritimes doublera au cours de la prochaine décennie, pour atteindre environ 3 000 milliards de dollars. C'est une prévision que la plupart des pays et des organisations internationales semblent accueillir favorablement, car les océans sont considérés comme un potentiel inexploité pour stimuler la croissance économique et la prospérité. En Afrique, par exemple, la stratégie de l'Union africaine pour l'économie bleue estime que la production économique actuelle des secteurs maritimes est d'un peu moins de 300 millions USD. Ils prévoient toutefois que ce montant atteindra près de 600 milliards d'ici 2063.

De manière cohérente, les visions des gouvernements pour le développement de l'économie bleue cherchent à faciliter cette croissance économique autant que possible. Pourtant, de nombreuses organisations reconnaissent que l'encouragement des investissements s'accompagne d'une série de risques, notamment en termes de dégâts environnementaux, mais aussi du fait que la croissance basée sur l'investissement dans des secteurs très rentables, tels que la production d'énergie, l'exploitation minière en eaux profondes, le tourisme et la pisciculture, risque de ne pas profiter à un grand nombre de personnes qui dépendent des océans pour leur sécurité alimentaire et leurs moyens de subsistance. Les millions de personnes qui pratiquent la pêche artisanale se trouvent au premier rang. La protection de la pêche artisanale contre les investissements financiers dans des industries concurrentes est l'une des principales recommandations des Directives volontaires de la FAO pour une pêche artisanale durable, et est également soulignée dans d'autres accords internationaux sur les droits de l'homme et la protection des peuples autochtones. Toutefois, rares sont ceux qui se demandent si cette poussée vers l'"économie bleue" sera autre que non durable.

  1. Des principes d'investissement comme solution pour une l'économie bleue durable ?

Les efforts déployés pour rendre l'économie bleue durable ont donné lieu à des appels croissants en faveur d'une meilleure réglementation des investissements. L'une des principales stratégies privilégiées par les organisations internationales et les gouvernements nationaux consiste à produire des lignes directrices volontaires. Cela conduit à des efforts multiples et qui se chevauchent. Cependant, l'un des événements les plus médiatisés s'est produit en 2017, lorsque la Commission européenne, le WWF, l'Institut des ressources mondiales et la Banque européenne d'investissement ont créé un ensemble de 14 principes pour guider l'investissement durable dans l'économie bleue, appelés "Principes de financement durable de l'économie bleue". Ces 14 principes couvrent toute une série d'aspects, allant de la garantie que les investissements dans l'économie bleue favorisent des écosystèmes marins sains et les moyens de subsistance des communautés côtières, mais aussi que les investissements soient transparents et basés sur les meilleures évaluations scientifiques de leurs impacts.

Ces principes ne sont pas le seul effort de l'UE pour développer des critères d'investissement durable dans l'économie bleue. En 2021, la Commission européenne a publié un rapport sur l'élaboration de critères de durabilité pour l'économie bleue, qui fournit des recommandations sur l'utilisation d'une carte de score pour évaluer les nouvelles entreprises et les investissements. C'est quelque chose qui pourrait être utilisé pour aider les autorités nationales lorsqu'elles développent la planification de l'espace marin et les permis d'autorisation pour les nouvelles entreprises commerciales. Cette étude a passé en revue 30 critères de durabilité proposés par des organisations indépendantes et des universitaires, y compris ceux développés pour des secteurs spécifiques, comme l'aquaculture. Les recommandations de ce récent rapport sont beaucoup plus détaillées que les principes de financement durable de l'économie bleue, et elles suggèrent que l'on s'efforce de rédiger de nouvelles lignes directrices plus strictes pour les investissements dans l'économie bleue au niveau de l'UE.

La pêche artisanale n'est pas explicitement mentionnée dans les principes BEFI, mais il est évident qu'elle devrait être l'un des principaux bénéficiaires. De nombreux éléments des 14 principes complètent les Directives volontaires pour une pêche artisanale durable, même si, là encore, ces directives ne sont pas explicitement mentionnées. Photo : CAA.

En plus, la Commission européenne a récemment finalisé une directive sur la durabilité des entreprises et la diligence raisonnable. Celle-ci vise à renforcer le comportement des entreprises en termes de droits de l'homme et d'impacts environnementaux, ce qui est applicable aux entreprises et aux investisseurs de l'économie bleue.

Cependant, la prolifération de ces directives au niveau de l'UE est potentiellement source de confusion. On ne sait pas comment les 14 principes pour investir dans l'économie bleue, qui ont été présentés comme une initiative mondiale, seront intégrés dans les futures politiques de l'UE. Néanmoins, pour l'instant, les principes de financement durable de l'économie bleue restent une sorte de réalisation phare de l'UE. Depuis leur finalisation, la Commission européenne a fourni des fonds au Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) pour lancer l'initiative de financement de l'économie bleue (BEFI). Celle-ci est également présentée par la CE comme l'une des composantes du Green Deal européen. Elle existe parallèlement au Fonds BlueInvest, qui aide les pays et les entreprises à accéder à des financements privés pour des projets bleus durables et rentables.

La BEFI est une initiative volontaire ouverte aux banques publiques et privées, aux fonds spéculatifs et aux sociétés de capital-risque. Ceux qui y adhèrent s'engagent à respecter les 14 principes et à promouvoir leur utilisation au niveau international. Selon le PNUE, plus de 70 institutions ont aujourd'hui adhéré au programme, contrôlant une richesse combinée de plus de 11 000 milliards de dollars. En échange de leur adhésion, les institutions financières sont autorisées à utiliser le logo des Nations unies sur leur matériel de marketing et leur papier à lettres. Parmi les membres existants figurent des banques d'investissement telles que BNP Paribas et HSBC, ainsi que des compagnies d'assurance maritime, des banques de développement et des investisseurs spécialisés dans la pêche et l'aquaculture. Le PNUE le décrit comme suit :

...le principal cadre d’orientation mondial pour les institutions financières afin de garantir que les activités liées aux océans, telles que les prêts et les investissements, sont menées dans le respect de la durabilité.”
— PNUE, "Momentum builds at One Ocean Summit as AFD signs the Sustainable Blue Finance Principles", News, 10 février 2022.

La pêche artisanale n'est pas explicitement mentionnée dans les principes BEFI, mais il est évident qu'elle devrait être l'un des principaux bénéficiaires. De nombreux éléments des 14 principes complètent les Directives volontaires pour une pêche artisanale durable, même si, là encore, ces directives ne sont pas explicitement mentionnées.

Le travail du PNUE sur la mise en œuvre des principes va plus loin que les principes eux-mêmes. L'année dernière, il a également formulé des recommandations plus spécifiques sur les types d'investissements à éviter pour ses membres. Par exemple, toute entreprise commerciale susceptible de contribuer à la pêche illégale ou d'utiliser des pratiques de pêche destructrices, comme la pêche à impulsion électrique.

Au-delà de la simple adhésion à l'initiative, les membres promettent de produire un rapport annuel sur la manière dont leurs décisions d'investissement ont mis en œuvre les principes. Le PNUE ne fournit aucune information sur le contenu précis de ces rapports annuels, et seul un membre a produit un rapport à ce jour. Toutefois, la BEFI suggère que les grands investisseurs dans les secteurs maritimes pourraient rendre plus transparentes de grandes quantités d'informations sur leurs activités. On s'attend à ce que cette année, de nombreux autres membres fournissent leurs premiers rapports.

À la fin des années 1960, l'ONU a produit une série d'études sur l'escalade des pouvoirs des sociétés transnationales (STN), notamment leur rôle dans l'affaiblissement de la démocratie et le pillage des ressources naturelles, contre lesquels les réglementations nationales et internationales et l'application des lois étaient inadéquates. Photo : CAA.

La BEFI est désormais célébré dans diverses conférences et réunions internationales sur l'économie bleue, dont le prestigieux sommet annuel mondial de l'océan organisé par l'Economist Intelligence Unit. Cette année, lors du One Ocean Summit qui s'est tenu en France, l'Agence française de développement (AFD) a également signé les principes. Cependant, un examen plus approfondi des principes et de l'initiative visant à les mettre en œuvre suggère que tout cet enthousiasme est douteux. En fait, la BEFI souligne les faiblesses inhérentes aux directives volontaires pour atténuer les menaces que les investisseurs financiers font peser sur la destruction de la planète.

2. La BEFI dans un contexte plus large

La BEFI s'inscrit dans un schéma visant à résoudre les problèmes sociaux, économiques et environnementaux causés par les entreprises et les investisseurs financiers, qui a été établi pour la première fois par les Nations unies dans les années 1990. Depuis lors, l'ONU a contribué à la création d'un nombre considérable de normes volontaires similaires pour des pratiques commerciales responsables, dont les résultats sont limités.

Auparavant, à la fin des années 1960, l'ONU a produit une série d'études sur les menaces croissantes causées par les sociétés transnationales (STN), en particulier dans les pays en développement. Cette étude a débouché sur la création d'une commission spéciale chargée de rédiger un code de conduite obligatoire pour les STN. La Commission s'est distinguée par le fait qu'elle était dirigée en majorité par des gouvernements de pays en développement ; sur ses 48 membres, seuls 10 venaient d'Europe et d'Amérique du Nord, contre 12 d'Afrique. Elle a présenté une vision très critique de l'escalade des pouvoirs des STN, notamment de leur rôle dans l'affaiblissement de la démocratie et le pillage des ressources naturelles, contre lesquels les réglementations nationales et internationales et l'application des lois étaient inadéquates. La Commission sur les sociétés transnationales a créé un centre dédié aux sociétés transnationales, chargé, entre autres, de rassembler des informations sur les activités de ces sociétés et leurs investissements dans les pays en développement. Le gouvernement américain et divers groupes de réflexion de "droite" se sont montrés particulièrement critiques à l'égard de son idéologie et de ses recommandations politiques, suggérant que l'ONU outrepassait ses attributions et menaçait la croissance économique des pays les plus pauvres.

Lors du Sommet de la Terre qui s'est tenu à Rio en 1992, sous la pression des donateurs occidentaux, le PNUE a contribué à mettre un terme à tout cela. En opposition aux recommandations de la Commission, il a décidé de créer un Conseil des entreprises pour Rio, qui devait élaborer un ensemble de normes volontaires pour elles-mêmes. Le Conseil des entreprises était représenté par les plus grandes sociétés transnationales du monde, notamment celles des secteurs de l'exploitation minière, du pétrole et de l'agriculture industrielle, et il est devenu par la suite le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable. La déclaration de Rio a été largement critiquée pour avoir omis toute vision négative des STN, les décrivant au contraire comme des partenaires essentiels pour sauver la planète.

À la suite du Sommet de la Terre, les Nations unies ont décidé de supprimer le travail du Centre pour les STN, qui a été absorbé par l'organisation de la Convention des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED). La recherche d'un code de conduite obligatoire a officiellement pris fin en 1994. Au lieu de cela, on a commencé à travailler sur quelque chose de moins conflictuel et en partenariat avec les grandes entreprises. C'est ainsi qu'est né le "Global Compact", un ensemble de principes de conduite responsable que les entreprises ont contribué à rédiger et auxquels elles ont adhéré. Il a été lancé par les Nations unies en 1999 lors du Forum économique mondial de Davos, une réunion annuelle qui célèbre et confirme le pouvoir mondial de l'élite des chefs d'entreprise. En l'espace d'un an, plus de 7 000 entreprises ont adhéré au Pacte mondial (elles sont aujourd'hui 12 000). En contrepartie, elles ont été autorisées à utiliser le logo bleu des Nations unies (ce que le BEFI autorise également). Les critiques ont appelé cela le "Blue Washing" : le faux cachet de respectabilité offert par l'ONU aux industries polluantes. D'autres ont également fait remarquer que "le langage de ces principes est si général que des sociétés peu sincères peuvent facilement les contourner ou s'y conformer sans rien faire."

Le PNUE a continué à utiliser le modèle des lignes directrices volontaires, même si elles sont en opposition directe avec des réglementations légales plus strictes. Les principes sont faibles, le suivi et l'application ont été timides et de nombreuses banques restent signataires alors que leurs investissements ont contribué à la crise climatique et causé une pauvreté généralisée. Photo : CAA.

En tant que modèle de gouvernance d'entreprise, le Pacte mondial a donné lieu à un grand nombre d'initiatives similaires. Les principes de l'Équateur, lancés en 2003 par la Société financière internationale et la Banque mondiale, constituent un autre exemple important. Comme pour le Pacte mondial, ces principes fournissent des lignes directrices sur l'investissement éthique et écologiquement positif, que les membres sont tenus de respecter. Les critiques ont souligné que ces lignes directrices volontaires étaient en opposition directe avec les réglementations légales plus strictes que le Code de conduite des Nations unies voulait créer : les principes sont faibles, le suivi et l'application ont été timides et de nombreuses banques restent signataires alors qu'il est clairement prouvé que leurs investissements ont contribué à la crise climatique et causé une pauvreté généralisée.

Malgré toutes ces critiques, le PNUE a continué à utiliser ce modèle. Récemment, il a été regroupé dans un programme global, appelé "Initiative financière". Outre la BEFI, le PNUE gère également les principes de la "banque responsable", les principes de l'"assurance durable", les principes de l'"investissement durable", les principes des "bourses durables", ainsi que le Natural Capital Protocol et le "Good Growth Project", avec des normes pour les entreprises investissant dans la production d'huile de palme et de soja. Le marché des principes volontaires est confus et se chevauche, ce qui est également le cas avec les nouveaux principes ajoutés par l'UE. La manière dont les principes d'investissement durable complètent ou font double emploi avec le Pacte mondial ou les principes de l'Équateur n'est pas claire. Et l'on ne voit pas très bien pourquoi le monde a besoin d'une initiative spécifique pour l'économie bleue, alors que les principes sont si étroitement alignés sur beaucoup d'autres.

3. Faut-il prendre la BEFI au sérieux ?

Tout au long de l'histoire de toutes ces normes commerciales volontaires produites par l'ONU, les critiques ont souligné les mêmes problèmes : les principes sont souvent vagues et leur mise en œuvre est faible. Les directives volontaires ont tendance à manquer d'intégrité et de fiabilité. En fin de compte, elles offrent à leurs membres de fausses prétentions de moralité.

Au fil du temps, certains efforts ont été déployés pour sauver leur crédibilité. Les principes sont souvent réécrits pour tenter de renforcer leur formulation, et les exigences en matière de rapports sont plus rigoureuses. Récemment, par exemple, le Pacte mondial a introduit des mécanismes permettant d'expulser les entreprises qui ne produisent pas de rapports. Malheureusement, lorsqu'il s'agit de la BEFI, le PNUE a adopté l'approche la plus faible pour sa conception.

A) LA FINANCE DURABLE PEUT ÊTRE NON DURABLE

L'une des critiques récurrentes des principes volontaires est qu'ils sont si ambigus qu'ils peuvent être interprétés pour s'adapter à presque tout. C'est un problème pour la BEFI. Selon ces principes de finance bleue, l'investissement durable est vaguement et brièvement décrit comme quelque chose qui :

...restaure, protège ou maintient la diversité, la productivité, la résilience, les fonctions essentielles, la valeur et la santé globale des écosystèmes marins, ainsi que les moyens de subsistance et les communautés qui en dépendent”.
— Définition de "l'investissement durable" dans les principes de financement de l'économie bleue durable.

Bien qu'elle semble positive, cette définition contient des concepts ambitieux qui sont potentiellement conflictuels et difficiles à interpréter dans la pratique. Il y a une différence entre quelque chose qui restaure la santé des écosystèmes marins (ou des moyens de subsistance) et quelque chose qui maintient la valeur des écosystèmes marins existants (ou des moyens de subsistance). Le concept de "valeur" est également source de confusion : S'agit-il de la valeur pour les actionnaires, la planète ou les communautés côtières ?

Ces définitions vagues de la durabilité sont aggravées par le fait que les engagements envers les principes sont formulés en termes très généraux. Il est demandé aux signataires de s'efforcer d'investir dans des projets durables et de s'efforcer d'atténuer les risques. Le langage n'est pas très fort. Cela signifie que si les entreprises peuvent montrer qu'elles font des efforts pour investir dans des projets durables, c'est suffisant.

Des principes mondiaux aussi vagues provoqueront inévitablement des controverses et des tensions. Par exemple, plusieurs entreprises de pisciculture et investisseurs dans l'aquaculture sont membres de la BEFI, comme "8F", une société de capital-investissement dans des entreprises de pisciculture basée à Singapour. Elle est l'investisseur exclusif de l'une des plus grandes entreprises de production de saumon d'élevage au monde ; "Pure Salmon", qui est également membre de la BEFI. En 2020, Pure Salmon a investi 175 millions d'euros dans ce qui sera l'un des plus grands et des plus rentables élevages de saumon au monde, situé dans le nord de la France. Cet investissement a été fortement critiqué par les organisations environnementales, car Pure Salmon pousse la densité de poissons dans ses bassins à des niveaux jamais vus auparavant. Les principes étant si peu exigeants, il suffira de faire quelques efforts pour réduire l'impact environnemental.

Dans ces lignes directrices volontaires, les définitions vagues de la durabilité sont exacerbées par le fait que les engagements envers les principes sont formulés en termes très généraux. Il est demandé aux signataires de “s'efforcer” d'investir dans des projets durables et de “s'efforcer” d'atténuer les risques. Photo : CAA.

Cette légèreté à l'égard des investisseurs est réitérée dans les recommandations du PNUE concernant les types d'investissements que les investisseurs doivent éviter. Bien que le pétrole et le gaz offshore soient la source la plus précieuse d'investissements dans l'économie bleue, ce secteur entier n'est pas mentionné dans leur liste. Pas plus que l'exploitation minière côtière et en eaux profondes, un autre secteur de l'économie bleue qui devrait recevoir d'importants investissements. La liste des recommandations n'inclut pas non plus les investissements dans la pisciculture industrielle qui repose sur la farine de poisson, malgré le fait que la production de farine de poisson a été soulevée comme une menace importante pour la pêche artisanale dans plusieurs parties du monde. En ce qui concerne l'industrie de la pêche, le PNUE a suggéré aux investisseurs d'éviter d'investir dans les industries de la pêche qui endommagent les écosystèmes, mais n'a pas inclus le chalutage de fond dans sa liste de types spécifiques de pêche, bien que le chalutage de fond soit la forme de pêche industrielle la plus destructrice (et la plus rentable) au monde.

Ainsi, la durabilité est interprétée de manière vague et sélective. La BEFI n'exige pas des entreprises qu'elles soient durables ; il leur demande d'essayer d'être un peu plus durables, un peu mieux qu'elles ne l'auraient été autrement.

B) UN CLUB EXCLUSIF OUVERT À TOUS ?

La crédibilité des normes volontaires mondiales réside en partie dans le fait qu'elles réservent l'adhésion aux entreprises et aux investisseurs qui répondent à des critères stricts. Les entreprises peuvent adhérer à la BEFI sans passer de test, mais elles sont néanmoins autorisées à utiliser le logo des Nations unies dès le départ. BNP Paribas, par exemple, est accueilli par le PNUE au sein du BEFI alors que l'année dernière, il a été révélé qu'il avait procédé à la plus grande augmentation du financement des combustibles fossiles parmi toutes les grandes banques mondiales. Pourtant, cela n'a pas d'importance ; les membres doivent montrer leur engagement envers les valeurs idéales des principes, et non pas être réellement durables.

L'inclusion d'organisations telles que BNP Paribas pourrait être justifiée si leur adhésion les contraignait à faire le ménage dans leurs affaires. Cependant, une fois inscrites, les entreprises ne sont pas soumises à une évaluation rigoureuse de leur respect des principes. Au contraire, pour conserver leur adhésion à l'initiative, elles doivent seulement fournir un rapport annuel qui démontre comment elles ont utilisé les principes dans leurs activités commerciales. Comme l'indique le premier rapport annuel produit par un membre de la BEFI, la compagnie d'assurance maritime "American Hellenic Hull", une brève présentation suffit.

Ces rapports symboliques sont presque inévitables pour ce type d'initiatives. Pour avoir une quelconque crédibilité, les entreprises devraient être évaluées par une tierce partie indépendante, sans intérêt commercial dans le résultat de leur évaluation.

Laissé à de brefs " auto-rapports ", la BEFI ne parvient pas à faire progresser la transparence et la redevabilité, laissant simplement à d'autres la tâche de vérifier les affirmations faites par les membres. Cela risque d'être particulièrement difficile étant donné que les activités d'investissement de bon nombre des membres actuels de l'initiative sont cachées par la confidentialité. Les informations publiques semblent être rares sur les activités d'investissement d'Investas, une société d'investissement privée cotée au Luxembourg.

Une fois qu'elles ont adhéré à l'initiative, les entreprises ne sont soumises à aucune évaluation rigoureuse quant à leur respect des principes. Pour conserver leur adhésion à l'initiative, elles doivent seulement fournir un rapport annuel démontrant comment elles ont utilisé les principes dans leurs activités commerciales. Pour avoir une quelconque crédibilité, les entreprises devraient être évaluées par une tierce partie indépendante. Photo : CAA.

Souvent, ce qui est présenté comme une institution financière est une filiale ou une organisation sœur d'une autre institution d'investissement ; les personnalités du secteur de l'investissement privé peuvent posséder plusieurs sociétés d'investissement. Ainsi, par exemple, un membre du BEFI est Ocean 14 Capital, qui se présente comme un investisseur dans l'économie bleue durable. Or, il s'agit d'une nouvelle société de capital-risque créée par Vedra Partners, une société d'investissement privée qui gère plusieurs autres sociétés spécialisées dans les projets énergétiques. Que signifierait le fait qu'Ocean 14 Capital soit une entreprise adhérant au BEFI, mais que Vedra Partners ne le fasse pas ?

4. Conclusion : la CE devrait cesser de soutenir l'Initiative de financement de l'économie bleue (BEFI)

En l'état actuel, le soutien de l'UE à la BEFI du PNUE est décevant. L'objectif d'exposer et de s'attaquer aux investissements financiers qui nuisent à l'environnement et ont des impacts négatifs sur de nombreuses personnes qui dépendent des océans pour leur subsistance est positif. Cependant, le BEFI n'offre pas une approche significative pour atteindre ces objectifs. Pire encore, il offre aux entreprises des relations publiques positives injustifiées, ou "blue washing".

Il convient d'élargir et d'intensifier la mise en lumière des activités des investisseurs financiers dans l'économie bleue. C'est un défi énorme en raison du secret qui entoure le secteur. Le BEFI ne fait pas d'effort sérieux pour documenter les flux financiers qui vont vers les différents secteurs maritimes et les bénéficiaires effectifs derrière ces transactions.

La Commission européenne reconnaît ce défi. En 2020, elle a commandé et publié un rapport intitulé "La finance non durable dans l'économie bleue - D'où vient l'argent ?" L'étude n'a pas permis de cartographier les flux financiers dans l'économie bleue de manière systématique, mais elle a constitué un premier début encourageant, exposant les défis méthodologiques et fournissant quelques exemples d'études de cas.

L'octroi de ressources financières pour la poursuite et l'expansion internationale de ce travail est nécessaire, car il représente une voie bien plus efficace pour accroître la transparence des investissements dans l'économie bleue que l'approche volontaire basée sur l'auto-rapport proposé par le PNUE.

De tels principes cautionnent les niveaux d'engagement les plus bas, ouvrent la voie à des interprétations sélectives et détournent l'attention de débats politiques plus sérieux, à savoir l'importance d'abandonner l'"économie bleue" au profit d'une vision des secteurs maritimes donnant la priorité aux industries à petite échelle et localisées, notamment la pêche artisanale. Photo : CAA.

L'UE et les autres parties prenantes devraient également réévaluer leur enthousiasme pour les principes de financement de l'économie bleue durable car ils sont confus dans la définition des responsabilités et des devoirs des investisseurs. Ces principes vagues ne font que cautionner les niveaux d'engagement les plus bas, ouvrant la voie à des interprétations sélectives. Par exemple, demander aux investisseurs de s'efforcer de s'engager à respecter des idéaux tels que la transparence est une mesure régressive dans le contexte des efforts mondiaux visant à garantir la déclaration obligatoire des flux financiers et de la propriété effective. Les propositions avancées par la CE en matière de durabilité des entreprises et de diligence raisonnable, bien qu'elles ne soient pas parfaites, sont bien plus solides que ce qu'elles ont créé pour l'économie bleue.

Le type de principes utilisés par la BEFI est également une distraction commode pour des débats politiques plus sérieux. Le rapporteur spécial des Nations unies a mis en lumière ce problème pour les principes sur l'investissement agricole responsable. Bien qu'ils semblent être progressistes, ils représentent une approbation du statu quo, évitant toute critique plus large du mode de fonctionnement du système mondial de production alimentaire.

Bien qu'il soit présenté comme une stratégie mondiale audacieuse visant à transformer l'investissement dans l'économie bleue, le BEFI renforce une vision limitée où l'économie bleue est considérée comme une nouvelle frontière pour d'énormes retours financiers, ce qui favorise inévitablement les secteurs maritimes industrialisés à grande échelle. Dans son prospectus pour la promotion des principes d'investissement dans l'économie bleue, le WWF décrit :

Les Principes sont plus qu’un outil de gestion des risques, ils sont en fait tout aussi orientés vers les opportunités. La valeur actuelle et future potentielle de l’économie bleue durable est immense”.
— Une brochure du WWF "Présentation des principes de financement durable de l'économie bleue" de mars 2018.

Le risque ici est que la BEFI se transforme en un programme axé sur l'attraction de plus d'investissements afin de générer des surplus de profits plus importants. Les débats au niveau de l'UE reconnaissent la folie de ce point de vue, ainsi que l'importance d'abandonner l'"économie bleue" au profit d'une vision des secteurs maritimes qui donne la priorité aux industries à petite échelle et localisées, notamment la pêche artisanale. En promouvant des principes d'investissement favorables aux entreprises, détachés des visions politiques plus larges de ce à quoi devrait ressembler une économie bleue durable, les principes de la BEFI pourraient simplement être "des directives sur la façon de détruire les océans de manière responsable".

CARMEN ABD ALI

Toutes les photos de cet article proviennent d'un reportage photo sur la chaîne de valeur de la pêche artisanale en Guinée-Bissau, commandé par CAPE à l'occasion de l'Année internationale de la pêche artisanale et de l'aquaculture 2022.

Cette sélection représente le processus de pêche avec une senne de plage dans un estuaire près d'Ilonde, à 10 km à l'ouest de la capitale Bissau.


Année internationale de la pêche et aquaculture artisanales (IYAFA 2022)

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