A Abidjan, les femmes de la pêche artisanale offrent du travail aux jeunes

En Côte d’Ivoire, plus de la moitié des habitants a moins de 20 ans. Dans les communautés de pêche artisanale, comme Abidjan, San Pedro, ou Grand-Bereby, ces jeunes sont très nombreux à rechercher désespérément un emploi.

Avec la raréfaction du poisson, devenir pêcheur ou femme transformatrice est presque mission impossible. Et avec un taux de scolarisation très faible, - en moyenne, seul un tiers des jeunes des communautés de pêche a eu accès à l’éducation, moitié moins que les jeunes au niveau national-, trouver un emploi hors du secteur de la pêche artisanale est encore plus difficile.

En quête d’un avenir meilleur, pour eux et pour leur famille, ces jeunes, filles et garçons, se tournent alors parfois vers des activités illégales, comme le trafic de drogue ou la piraterie. D’autres partent sur les routes périlleuses de l’exil vers l’Europe par la Méditerranée. Ces dernières années, par an, plus de 10 000 migrants d’origine ivoirienne ont tenté de rejoindre les côtes de l’Europe par la Méditerranée. La Côte d’Ivoire est ainsi devenue le troisième pays ouest africain de migration vers l’Europe, après le Nigéria et la Guinée. Ces voyages périlleux ont causé bien des victimes, y compris au sein des jeunes partis des communautés de pêche ivoiriennes, ce qui a provoqué un grand choc au sein de ces communautés.

Pour donner un avenir à ces jeunes en Côte d’Ivoire, les femmes de la Coopérative des Mareyeuses et Transformatrices des Produits Halieutiques d’Abidjan (CMATPHA) ont réagi. Après s’être réunies, elles ont décidé de leur faire une place dans la filière de la transformation du poisson de la pêche artisanale. « Nous sommes leurs mamans, nous ne pouvions pas rester sans rien faire », explique Micheline Dion Somplehi, présidente de la Coopérative. Dans un élan de solidarité, les femmes ont ainsi accepté de partager les bénéfices de leurs activités avec les jeunes, en leur confiant diverses tâches, comme le déchargement des captures et la préparation du poisson pour la transformation.


Les jeunes non seulement débarquent le poisson, mais aident aussi à mettre le poisson sous glace, à organiser le stockage et à nettoyer les congélateurs. Ils sont payés 100 FCFA/bassine par les femmes transformatrices et en nature par les pêcheurs. Photo: Ogou Dama/REJOPRA.

Les jeunes non seulement débarquent le poisson, mais aident aussi à mettre le poisson sous glace, à organiser le stockage et à nettoyer les congélateurs. Ils sont payés 100 FCFA/bassine par les femmes transformatrices et en nature par les pêcheurs. Photo: Ogou Dama/REJOPRA.

Les jeunes sont devenus indispensables dans la filière

Lorsqu’arrivent les pirogues, des jeunes hommes armés de bassines vont à leur rencontre pour débarquer les captures et les amener vers les lieux où les femmes transforment le poisson ou vers les réfrigérateurs où le poisson sera stocké. Être ‘chargeur’, c’est un métier à temps plein en période de pêche. Cela consiste non seulement à décharger le poisson des pirogues, mais aussi à mettre le poisson sous glace, à organiser le stockage, à nettoyer les congélateurs. Ils sont rémunérés par les femmes transformatrices qu’ils approvisionnent, 100 francs CFA par bassine amenée. Le pêcheur dont ils débarquent les captures leur offre également quelques poissons pour leur consommation. En fin de journée, s’ils ont déchargé plusieurs pirogues, il arrive qu’ils aient récupéré assez de poisson pour en revendre une partie, ce qui leur permet d’améliorer leur revenu.

La découpe est un autre secteur qui a été laissé aux jeunes. On y retrouve de nombreux jeunes qui vont s’occuper du nettoyage, de l’éviscération, de l’écaillage, de l’étêtage et de la découpe des poissons, qui sera ainsi prêt à être fumé. Elles sont rémunérées à la pièce ou au nombre de bassines pour ce travail, en tenant compte de la taille du poisson ou de son poids. Elles vont aussi aider les femmes transformatrices pour le nettoyage du matériel de fumage, de séchage, ou de fermentation.

D’autres jeunes servent aussi de guides aux clients pour leur expliquer quelles espèces et quels produits sont disponibles. Souvent, ils vont jusqu’à livrer les achats de poisson au client, avec des brouettes, des tricycles ou des poussettes. Le client les paie, parfois 1000 francs CFA ou plus. S’ils font une dizaine de clients par jour, cela leur donne un bon revenu.

Aujourd’hui, c’est plus de 400 jeunes femmes et hommes des communautés côtières d’Abidjan, qui étaient désœuvrés et sans perspective, - des proies faciles pour les trafiquants de drogue, ou les organisateurs de migrations clandestines-, qui ont ainsi trouvé de quoi vivre grâce à l’action de la coopérative des femmes transformatrices. Tout le monde y trouve son compte : cela soulage le travail des femmes transformatrices, les jeunes sont rémunérés, et leur activité leur permet aussi de se sentir utiles et mieux intégrés dans leur communauté.


Les femmes ont organisé plusieurs rencontres avec les jeunes pour les motiver et les aider à organiser leurs journées de travail. Elles les ont également aidés à acheter du matériel comme des brouettes ou des bottes. Photo: Découpeurs de thon à Abidjan, par Alexandre Rodriguez.

Les femmes ont organisé plusieurs rencontres avec les jeunes pour les motiver et les aider à organiser leurs journées de travail. Elles les ont également aidés à acheter du matériel comme des brouettes ou des bottes. Photo: Découpeurs de thon à Abidjan, par Alexandre Rodriguez.

Le soutien de la coopérative

« Ces jeunes viennent de la communauté de pêche, et notre ambition, c’est de leur donner un ancrage dans cette communauté. Ils connaissent l’activité de pêche car leurs papas et leurs mamans en vivent. Ils sont heureux de pouvoir rester dans le secteur si c’est possible de gagner leur vie », souligne Micheline Dion.

Depuis plusieurs années, la coopérative des femmes transformatrices d’Abidjan les a donc aidés, en leur achetant du matériel : des brouettes, des bottes mais aussi en les aidant à s’organiser en association, et en intégrant cette association au sein de l’Union des Sociétés Coopératives des Femmes de la Pêche et assimilées de Côte d’Ivoire (USCOFEP-CI).

De nombreuses rencontres ont été organisées par les femmes avec ces jeunes, qui auparavant passaient souvent leur journée à traîner sur la plage, pour les motiver et les aider à organiser leur journée de travail : leur expliquer, par exemple, que venir en retard pour les débarquements, c’est pénaliser toutes les activités de la filière. Les femmes les ont également sensibilisés pour qu’ils puissent mieux gérer leur revenu. Les jeunes de l’association sont également invités aux formations organisées pour la Coopérative par des ONG.

Depuis le début de cette initiative pour organiser et donner du travail aux jeunes, les femmes de la coopérative d’Abidjan n’ont pu compter que sur elles-mêmes et n’ont reçu aucun soutien extérieur: « Nous avons parfois eu des journées entières de discussion avec ces jeunes, pour organiser leur activité, leur expliquer les choses, sans pouvoir partager un repas », explique Micheline Dion: « Nous aimerions que notre expérience soit connue et partagée, et que les décideurs, les organisations internationales, les ONG soutiennent nos efforts, car les besoins sont de plus en plus grands ».

En effet, la crise du Covid-19, et les mesures prises pour combattre la pandémie, ont été une véritable épreuve pour toutes les communautés de pêche artisanale du pays. La précarité et la misère y ont augmenté, y compris pour les jeunes. Sans l’ancrage dans la communauté que leur offre un travail rémunéré, ils prendront le risque de partir clandestinement vers l’Europe, ou se tourneront vers des activités illégales, mais lucratives.

C’est pourquoi aujourd’hui, les femmes veulent étendre l’initiative de la coopérative d’Abidjan aux autres sites de pêche artisanale de la côte. Une délégation de femmes transformatrices a ainsi parcouru plusieurs centaines de kilomètres pour aller dans les communautés de pêche de Grand Bereby et San Pedro, où beaucoup de jeunes hommes et femmes sont sans emploi et désespèrent. Organiser ces jeunes, les intégrer dans la filière pêche artisanale en les formant pour des activités d’appui aux pêcheurs et aux femmes transformatrices, pour eux, cela peut faire la différence entre partir ou rester. « Je lance un appel à toutes les femmes transformatrices, toutes les mamans, toutes celles qui souffrent de voir leurs enfants partir ou mal tourner, pour aider à créer des emplois pour eux au sein de la pêche artisanale. Nos enfants, nos jeunes, ont besoin d’être encouragés, conseillés, soutenus moralement et financièrement pour se créer un avenir dans la pêche artisanale ».

Photo de l’entête: Jeunes débarqueurs de poisson sur la plage au Ghana, de Samuel Aboh/Unsplash.