SENEGAL: Il faut réserver l'exploitation de la sardinelle à la pêche artisanale

Cet article est écrit par le Dr Sogui Diouf, médecin vétérinaire et ancien Directeur des Pêches

Chaque année, à l’approche de la saison froide, les bateaux russes ciblant les petits pélagiques se rappellent au bon souvenir des sénégalais en sollicitant des autorisations de pêche. La flotte russe qui, jadis, pêchait annuellement 1.500.000 tonnes de petits pélagiques le long des côtes nord-ouest africaines se limite, désormais, à pêcher 400.000 tonnes par an.

En 2010, la Russie, avec la complicité du Ministre de l’Economie maritime de l’époque, avait obtenu l’autorisation d’exploiter nos ressources pélagiques côtières. Mais, en Avril 2012, cette flotte a été sommée de cesser ses activités dans les eaux sénégalaises.

En 2013, un accord de pêche a été signé entre la Russie et la Guinée Bissau, offrant à la Russie la possibilité d’opérer dans la zone commune entre le Sénégal et la Guinée Bissau et d’en profiter pour faire des incursions dans les eaux du Sénégal. C'est ainsi que le bateau Oleg NAYDENOV fut arraisonné fin 2013 en action de pêche sans autorisation.

Cette année, nous nous demandions quelle stratégie la Russie allait employer….

C'est alors qu'il nous est revenu qu’en Septembre 2014, un opérateur économique de Dakar, à la tête d’une société mixte, a introduit auprès du Ministère de la Pêche et de l’Economie maritime une requête portant sur l’octroi de 10 autorisations de pêche aux petits pélagiques, afin de lui permettre la reprise de la société de transformation de produits de la pêche Africamer.

Africamer a été créée en 1979. Par an, elle traitait 20.000 tonnes de poisson, en exportait 12.000 dont 85% vers l'Europe, avait une flotte de 17 chalutiers glaciers et employait 2.500 personnes. Africamer, qui fut la plus grande société de pêche du Sénégal, a connu, entre 2005 et 2008, des difficultés consécutives à des erreurs de gestion. Ces difficultés ont entraîné une suite d'arrêts suivis de reprises éphémères d'activités. Africamer a, finalement, été mise en liquidation en 2011.

Coïncidence: fin 2013, le représentant de l’Agence russe avait fait, auprès de la Présidence de la République, une requête très semblable: une demande de licences de pêche pour 10 chalutiers, opérant 6 mois par an pour pêcher 100.000 tonnes de petits pélagiques, pendant 5 ans. La requête incluait aussi la reprise d’Africamer. Les similitudes sont tellement frappantes qu’on se demande si la requête du promoteur sénégalais de 2014 n’émane pas en réalité de l’Agence Fédérale de Pêche de Russie.

La requête du promoteur sénégalais de Septembre 2014 comprend, outre la reprise d’Africamer et l'octroi des 10 licences, la création d'un chantier naval et un volet de développement de l’aquaculture. L'investisseur propose, pour réaliser ce programme de grande envergure, d'investir seulement 11 milliards FCFA (+- 17 millions d'euros), ce qui est irréaliste. D'autre part, la reprise des activités d’Africamer supposerait un approvisionnement de l’usine en produits frais - or, les produits pêchés par les bateaux russes à qui irait les dix licences sont congelés à bord et conditionnés en mer.

Cette proposition de reprise de l’usine de transformation Africamer n’est qu’un leurre. Les promesses de recrutement d’ouvriers pour Africamer ne pourront pas être tenues car on n’approvisionne pas une usine de transformation avec des produits déjà congelés et conditionnés en mer. Il s’agit d’un mensonge et du seul moyen qu’a trouvé la Russie de faire revenir ses bateaux dans les eaux sénégalaises pour pêcher la sardinelle.

Ce qui est en jeu, c’est notre sécurité alimentaire et nos emplois. En effet, les flottes de super chalutiers étrangers pêchant dans la région sont en compétition directe avec la pêche artisanale pour l’accès à la sardinelle. Il s’agit en effet d’un stock unique qui effectue des migrations entre le Maroc et la Guinée Bissau en passant par la Mauritanie et le Sénégal.

Les sardinelles occupent une place très importante dans la pêche au Sénégal tant en ce qui concerne les mises à terre, la consommation locale que les emplois et les exportations. Quelques 60% des plus de 400.000 tonnes de débarquements de la pêche artisanale sénégalaise, sont des sardinelles.

Près de 12.000 pêcheurs artisans sénégalais vivent de la seule pêcherie de sardinelles. En outre, de nombreux métiers connexes (distribution du poisson, transformation artisanale) associés à la pêcherie de sardinelles se caractérisent par de faibles barrières à l’entrée en termes de capital, qualification et savoir-faire et emploient des milliers de personnes. L’importance de la composante féminine dans la transformation artisanale constitue un facteur favorable aux politiques de réduction de la pauvreté.

Au plan de la sécurité alimentaire, les sardinelles constituent la source de protéine animale la plus accessible en termes de prix et de quantité. Dans beaucoup de familles sénégalaises, actuellement, seul le repas de midi, à base de riz au poisson (sardinelles) est assuré.

Actuellement, L’état des ressources de sardinelles est préoccupant. Le groupe de travail FAO/COPACE réuni en juin 2013, à Nouadhibou (Mauritanie), a constaté que comme les années précédentes les stocks de sardinelles sont surexploités et que l’effort de pêche doit être substantiellement réduit.

Les pêcheurs artisans sénégalais, conscients de la surexploitation des sardinelles, se sont imposés des restrictions notamment des mesures pour interdire la pêche, la commercialisation, le transbordement et la transformation des juvéniles, ou encore des arrêts temporaires de la pêche.

Vu cette situation, il faut, aujourd’hui, réserver les sardinelles à la pêche artisanale, tout en accentuant l’application des mesures de régulation de l’effort de pêche déjà adoptées.

C’est, à la fois, une question de sécurité alimentaire et de stabilité sociale.

Dr Sogui DIOUF

Vétérinaire

soguidiouf@gmail.com