Lövin : « La PCP contient des dispositions permettant de donner la priorité à ceux qui pêchent de la manière la plus responsable »

Par Isabella Lövin

Isabella est une ancienne députée européenne (2009-2014), rapporteure sur la dimension extérieure de la politique commune de la pêche, auteure du livre Silent Seas - the Fish Race to the Bottom (2009), l’ancienne vice-première ministre, ministre du développement et ministre de l'environnement et du climat (2014-2021) de Suède.

Cet article a d’abords été publié sur le magazine en ligne EUObserver. Nous avons traduit et publié cet article avec leur permission.

Il y a quelques décennies, l'UE a été fortement critiquée pour son approche "payer, pêcher et partir" lors de la négociation des accords de pêche d'accès avec les pays tiers.

Les flottes étaient accusées de surpêche et de concurrence avec les pêcheurs locaux, contribuant ainsi à l'insécurité alimentaire et à un fort sentiment d'injustice et d'exploitation dans de nombreuses communautés locales, notamment en Afrique.

Petit à petit, cette approche a changé au fil des ans, transformant les accords de pêche en accords dits de partenariat avec une quinzaine de pays du Sud, dans le but de renforcer les capacités de gestion de la pêche de ces pays, tout en payant pour l'accès à un surplus de poissons que le pays ne peut pas pêcher au niveau national. Au cours de ce processus, les accords ont changé de nom et de forme, d'abord pour devenir des accords de partenariat dans le domaine de la pêche (APP), puis, dans le cadre de la réforme de la politique commune de la pêche (PCP) en 2013, des accords de partenariat dans le domaine de la pêche durable (APPD).

J'ai moi-même été le rapporteure au Parlement européen de la dernière réforme de la dimension extérieure de la PCP et, dix ans plus tard, je peux dire que je suis heureuse de constater que les changements que nous avons apportés à ces accords ont réellement fait la différence. L'évaluation indépendante récemment publiée est globalement très positive, reconnaissant qu'avec les nouvelles dispositions – inscrites, pour la première fois, dans le règlement de base de la PCP en 2013 - les APPD constituent désormais un cadre solide pour la coopération avec les États côtiers, très loin de l'approche "payer, pêcher et partir".

La récente évaluation note que les APPDconstituent désormais un cadre solide pour la coopération avec les pays tiers, loin de l’approche ‘payer, pêcher et partir’”
— Isabella Lövin, Ancienne députée européenne (2009-2014), rapporteure sur la dimension extérieure de la politique commune de la pêche.

La cohérence et les synergies avec les stratégies de coopération au développement de l'UE sont désormais bien meilleures. Le découplage de l'aide sectorielle et des droits d'accès que nous avons introduit a permis de mieux adapter l'aide aux besoins réels du pays partenaire et d'apporter une toute nouvelle transparence aux flux financiers. Le processus de consultation des parties prenantes a été plus inclusif, y compris avec les organisations de femmes. L'UE a également adopté une approche plus régionale qui a permis d'améliorer la coopération en matière de gestion et de recherche sur les stocks de poissons partagés entre pays voisins. L'obligation d'apporter la preuve scientifique d'un surplus de poissons pouvant être pêchés par d'autres que la flotte nationale a également fait une réelle différence.

Cependant, l'évaluation met également en évidence un défi très sérieux, que nous reconnaissons dans de nombreux autres domaines politiques. Il s'agit de la concurrence d'autres acteurs étrangers, moins préoccupés par la durabilité et plus intéressés par le simple fait de payer, de pêcher et de partir. En 2013, nous espérions qu'une "course au sommet" se produirait, lorsque l'UE proposerait une approche beaucoup plus transparente et responsable des APPD, qui encouragerait à son tour les États côtiers à imposer des exigences similaires aux autres flottes de pêche lointaine. Cette démarche n'a pas été aussi fructueuse que nous l'espérions. L'évaluation souligne la nécessité d'une meilleure application de la "clause de non-discrimination" et d'une plus grande transparence de la part des États côtiers, afin de garantir que les normes imposées aux navires de l'UE dans le cadre des APPD s'appliquent également aux autres flottes de pêche ayant accès aux mêmes eaux. Cela est également important lorsqu'il s'agit de ce que l'on appelle les sociétés mixtes et les accords d'affrètement, notamment lorsque le véritable propriétaire bénéficiaire d'un bateau est un ressortissant de l'UE.

En outre, une transparence totale sur toutes les conditions de tous les acteurs étrangers et nationaux est essentielle pour permettre un contrôle public et une responsabilité politique. Dans ce domaine, il reste encore beaucoup à faire, y compris une plus grande transparence sur l'impact de l'appui sectoriel de l'UE.

L’argent des contribuables devrait être utilisé pour s’assurer que le poisson qui entre sur le marché de l’UE respecte les règles de durabilité et de transparence, plutôt que de payer pour des flottes privées opérant dans des pays tiers”
— Isabella Lövin est aussi l’ancienne vice-première ministre, ministre du développement et ministre de l'environnement et du climat (2014-2021) de Suède.

Une question revient sans cesse dans le débat sur les accords de pêche de l'UE avec les pays du Sud : pourquoi les contribuables devraient-ils payer pour des flottes de pêche privées opérant dans des pays tiers ? La réponse est : nous ne devrions pas. Les flottes de pêche lointaine de l'UE peuvent payer elles-mêmes l'accès à la pêche, ce qu'elles font d'ailleurs déjà, même si elles n'en supportent pas toujours le coût total. En revanche, les contribuables devraient contribuer à garantir que le poisson qui entre sur le marché de l'UE - où 70 % du poisson consommé est importé - respecte des règles de durabilité et de transparence qui valent plus que le papier sur lequel elles sont écrites. Cela signifie qu'il faut soutenir le renforcement des capacités en matière de suivi et de contrôle, de science, de formation professionnelle et d'infrastructure, entre autres, dans de nombreux pays partenaires.

En outre, en pleine crise climatique, l'UE a la lourde responsabilité de continuer à montrer la voie et de réduire son empreinte écologique mondiale. La PCP contient des dispositions permettant de donner la priorité à ceux qui pêchent de la manière la plus responsable, plus sélectivement, en émettant moins de CO2 et en collectant des données, par exemple, et cet instrument devrait être utilisé, créant ainsi une course vers le haut plutôt que vers le bas.


Photo de l’entête par Paul Einerhand