La Convention sur les Conditions Minimales d'Accès: un outil pour la gestion concertée des ressources en Afrique de l'Ouest

Entretien avec Mme Diénaba Bèye Traoré, Chef de Département Harmonisation des Politiques et Législations des Pêches de la Commission Sous Régionale des Pêches d’Afrique de l’Ouest (CSRP).

 

La gestion des stocks partagés, en particulier les petits pélagiques, est-elle un enjeu important pour la CSRP?

La CSRP est une organisation inter-gouvernementale qui regroupe sept Etats membres: le Cabo Verde, la Gambie, la Guinée, la Guinée Bissau, la Mauritanie, le Sénégal et la Sierra Leone, et trois Etats associés: le Maroc, le Liberia et le Ghana. La production halieutique annuelle dans la zone couverte par la CSRP dépasse 1.7 million de tonnes de poisson, pour une valeur estimée à 1.5 milliards de dollars US par an. Près de 77% de ces débarquements sont composés de petits pélagiques, qui sont non seulement la clé de voûte du commerce de poissons en Afrique de l’Ouest, - on estime qu’un million de tonnes par an sont commercialisées dans la région-, mais représentent aussi, en moyenne, 26% des apports en protéines animales des populations de la région. Ces stocks sont stratégiques pour la région, et la CSRP se préoccupe de promouvoir leur gestion durable.

Cet aspect a également été abordé dans l’avis du Tribunal International du Droit de la Mer (TIDM) suite aux questions de la CSRP concernant les responsabilités des Etats dans la lutte contre la pêche INN et dans la gestion durable des stocks partagés…

L’avis du TIDM réaffirme que l’Etat côtier est le premier responsable en cas de pêche INN dans sa ZEE. C’est à l’Etat côtier de prendre les mesures nécessaires en vue de prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche INN, y compris l’arraisonnement, l’inspection, la saisie et l’introduction d’instance judiciaire. Il incombe aussi à l’Etat côtier de signaler à l’Etat du pavillon lorsque son contrôle sur un de ses navires n’a pas été exercé de manière appropriée.

Concernant les stocks partagés, l’avis du TIDM réaffirme également que les Etats Membres de la CSRP ont l’obligation de coopérer afin de prendre les mesures appropriées de conservation et de gestion pour éviter que le stock partagé ne soit compromis par une surexploitation.

Il faut souligner que les Etats de la CSRP sont liés par la Convention sur les Conditions Minimales d’Accès (CCMA) La CCMA demande notamment (Article 9 al.2) que ‘Les Etats membres privilégient la mise en place de plans d’aménagement concertés pour les stocks partagés’. A travers cette Convention, les Etats membres de la CSRP s’engagent également à ce que les mesures de conservation et de gestion se fondent sur les données scientifiques les plus fiables dont ils disposent, et, si ces données sont insuffisantes, à appliquer le principe de précaution. Ces principes valent aussi pour la négociation et la signature d’accords de pêche.

Quel est le problème principal rencontré par rapport aux accords de pêche signés par les pays de la région?

Je dirais que l'insuffisance de concertation dans les négociations des accords de pêche est un problème majeur. Chaque Etat privilégie sa souveraineté sur l'espace maritime national, au détriment de la concertation avec ses voisins.

Ensuite, si on regarde l’article 3 de la Convention sur les Conditions minimales d’Accès de la CSRP, il y est dit que l’accès des flottes étrangères au surplus doit se faire après avis des institutions de recherche de l’Etat concerné. Or, ces centres de recherche, qui sont censés convaincre les Etats de la nécessité de coopérer, ne sont pas bien outillés en infrastructures: inexistence ou insuffisance de navires de recherche opérationnels, pas ou peu de laboratoires, conditions de travail très difficiles pour les chercheurs...

En outre, la CCMA stipule que l'embarquement d'observateur et de marins nationaux est obligatoire à bord des navires pêchant des stocks partagés. Mais là aussi, les Etats font face à des difficultés d'embarquement de ces deux catégories de professionnels car les bateaux ne viennent pas au port dans chacun des pays. La CCMA privilégie en conséquence la négociation d’accords groupés, ce qui pourrait permettre d’éviter ce problème, en mettant à bord un observateur et des marins ayant un statut régional. Une révision de la CCMA est d’ailleurs envisagée pour prévoir la possibilité de négocier et signer des accords de pêche groupés.

La CCMA promeut l’harmonisation des mesures de gestion entre les Etats membres de la CSRP. Quel travail fait la CSRP dans ce cadre?

Au niveau de la zone de la CSRP, les législations nationales doivent être harmonisées en lien avec la CCMA sur une série d’éléments: embarquement obligatoires d’observateurs et de marins de la région, gestion de la pêche artisanale (caractérisation, obligation d'autorisation de pêche et d’immatriculation des pirogues, etc). Cette harmonisation est importante également en ce qui concerne la mise en œuvre des Mesures du ressort de l'Etat du Port pour la lutte contre la pêche INN: il faut harmoniser la nomenclature des infractions dans les États membres en établissant la liste des infractions devant être considérées comme graves dans la sous-région. Actuellement, la CSRP conduit une étude pour comparer les législations nationales par rapport à la CCMA. En outre, deux projets de protocoles sont en cours de préparation, portant respectivement sur la protection des communautés de pêcheurs artisans et sur les Aires Marines Protégées.