En Guinée, rude épreuve pour la chaîne de valeur du poisson

La propagation du virus Covid-19 et les mesures pour lutter contre n'ont pas uniquement des conséquences sanitaires : elle ont aussi un impact fort sur de nombreuses activités de la pêche à petite échelle, en Guinée. Reportage et photos sur la situation des acteurs de pêche artisanale à Conakry, par le journaliste Mamadou Aliou Diallo.


Il est 11heures et il fait très chaud au port de pêche de Téminétaye (Conakry). Au-dessus du four, entre la fumée, Djéinab Camara est occupée à fumer du poisson pour gagner un revenu pour aider à l’équilibre familial.

Madame Camara vit à Kagbelen, un village de Dubréka, au nord-est de Conakry, situé à 35 km de son lieu de travail. La fumeuse de poison de 33 ans déclare : « Actuellement, je peux fumer les poissons et les mettre sur le four entre trois à quatre jours sans pouvoir les écouler. Alors que, avant l’arrivée du coronavirus, les gens venaient commander au moment où je suis en train de fumer, soit le frais ou le poisson fumé. Certains prenaient pour envoyer ailleurs, d’autres pour la sauce à la maison. Mais tout est arrêté ». Ceci s’explique aussi par les restrictions imposées par les autorités politiques en raison du COVID-19.

Elle dit que les fumeuses traversent une période très difficile. « Nos clients de l’intérieur du pays ne peuvent plus venir parce que la circulation est bloquée. Ceux qui venaient pour faire l’exportation ne viennent plus également ».

Mme Djenab Camara, fumeuse de poisson au port artisanal de Téminetaye (Conakry) passe la nuit sur place à cause de l’augmentation des prix du transport. Photo: Mamadou Aliou Diallo.

Mme Djenab Camara, fumeuse de poisson au port artisanal de Téminetaye (Conakry) passe la nuit sur place à cause de l’augmentation des prix du transport. Photo: Mamadou Aliou Diallo.

Avant l’arrivée du COVID-19, Mme Camara affirme qu’elle pouvait vendre au moins 20 capitaines par jour. « Mais maintenant, je peux passer une journée en vendant qu’un seul à hauteur de 25 000 GNF [2,4 €, ndlr]. Et ça n’assure même pas ma dépense journalière ».

Pour aller à son lieu de travail, elle payait 12 mille GNF, soit 24 mille GNF l’aller-retour. Mais aujourd’hui, à cause de la réduction du nombre de passagers par taxi, les frais de transport ont doublé, soit 50 000 GNF par jour comme frais de transport (4,8€). Djeinab explique : « Mais le COVID-19 et l’état d’urgence sanitaire décrété, je ne parviens même pas à vendre pour obtenir ce montant. Alors, j’ai décidé, quand je viens lundi au port, je passe la nuit ici jusqu’à samedi. Parce que je ne peux plus supporter le coût de transport et la dépense ».

L’histoire de madame Camara est similaire à celle de plusieurs autres acteurs de la pêche à petite échelle en Guinée.

Etat d’urgence sanitaire

Le 22 mars, le gouvernement ougandais a annoncé que, pour lutter contre la propagation du COVID-19, -53 personnes étaient infectées à cette époque-, il interdirait tous les rassemblements publics, et fermerait les marchés de bétail, les écoles et les transports. L’interdiction devait durer un mois, mais a depuis lors été prolongée. Maintenant, la vente de bétail est autorisée uniquement dans les fermes d’élevage. C’était le premier gouvernement africain à prendre des mesures contre la pandémie.

Depuis, d’autres ont suivi. Le 26 mars dernier, le Président de la République, Alpha Condé a décrété l'état d'urgence sanitaire pour briser la chaîne de propagation du COVID-19 alors que le premier cas de Coronavirus a été enregistré le 12 mars 2020. Depuis, la courbe de la maladie est allée en crescendo. Le 6 avril, le premier ministre, Kassory Fofana a mis en place un plan de riposte économique à la crise sanitaire COVID-19. La solution n’ayant pas été encore trouvée pour freiner la propagation du virus, le président Alpha Condé a instauré un couvre-feu de 21h à 5h. Insistant sur le port obligatoire de masque communautaire à tout citoyen à compter du 18 avril 2020, Alpha Condé souligne : « Les sorties de Conakry restent soumises à la vérification stricte du statut infectieux du demandeur par un test ».

Impacts des mesures sur les activités de la pêche

Ces deux mesures ne sont pas sans impacts sur les activités de la pêche artisanale guinéenne. Au port de Bonfi, dans la commune de Matam, comme celui de Téminétaye (Conakry), à l’entrée, des kits de lavage des mains y sont installés, le port de masque de protection obligé, mais, dans la pratique, la distanciation sociale reste non appliquée. Désormais, ces ports ne s’ouvrent qu’à 6h pour fermer à 16h, alors que par le passé, il y avait des activités jusqu’à 22h et réouverture à 5h.

Les couvre-feu et la fermeture des ports, ainsi que l’augmentation des coûts de transport et les tracasseries policières, rendent difficile le déplacement pour acheter ou vendre du poisson entre localités. Photo: MAD

Les couvre-feu et la fermeture des ports, ainsi que l’augmentation des coûts de transport et les tracasseries policières, rendent difficile le déplacement pour acheter ou vendre du poisson entre localités. Photo: MAD

Cette nouvelle situation ne permet pas aux vendeuses d’écouler leurs produits de mer. Vendeuse de poisson frais depuis 12 ans, Mme Salématou Bah dit être exaspérée par les changements intervenus avec le COVID-19. Avec le confinement et la fermeture des frontières, des écoles et des restaurants, la demande en produits de la mer – poissons et coquillages – s’est effondrée.

Madame Bah affirme que la clientèle a drastiquement diminué. Parce qu’avant la pandémie, elle pouvait acheter un poisson à 100 000 GNF pour le revendre à 120 000 GNF (9,6 à 11,5€). Mais maintenant, le même poisson, elle peut l'acheter à 60 000 GNF et le revende à 45 000 ou 50 000 GNF (5,8 à 4,3€). Mme Bah déclare : « Nous vendons à perte parce que les gens ne viennent presque plus. Nos gros clients quittaient les villes de Coyah, Forecariah, Kindia, Mamou et Kankan. Aujourd'hui, avec la restriction des déplacements, tous ceux-ci ne viennent plus. Nos ventes ont chuté. [...] Je payais 8000 GNF comme transport, et maintenant pour le même parcours, je paye 25 000 GNF [0,8 à 2,4€, ndlr]Je me demande maintenant si je gagne 50 000 de bénéfice, s'il faut payer le transport pour venir vendre ou laisser la dépense à la maison ». 

Mme Bah, mareyeuse au port de Bonfi, explique comment elles travaillent à perte à cause des restrictions au déplacement qui empêchent les clients de venir leur acheter du poisson. Photo: MAD

Mme Bah, mareyeuse au port de Bonfi, explique comment elles travaillent à perte à cause des restrictions au déplacement qui empêchent les clients de venir leur acheter du poisson. Photo: MAD

Au débarcadère de Téminétaye, Hadja Salimatou Bangoura, fumeuse et exportatrice de poisson est dans la même situation. Elle dit avoir envoyé deux tonnes de poissons fumés en Amérique à un client. Mais à cause du COVID-19 et du confinement, ce dernier n’a pas pu récupérer sa commande. Elle relate : « C’est très difficile pour moi parce que j’ai mis tout mon argent dans ça. Et aujourd’hui, tout est bloqué. […] Sinon, quand j’exporte, ça m’arrange beaucoup. Puisque j’ai scolarisé mes enfants et fait mes dépenses grâce à cette activité ».

Les différentes villes de l’intérieur du pays peuvent aussi manquer de poissons à cause du confinement de Conakry et du couvre-feu. Le secrétaire général de la Fédération guinéenne de la pêche artisanale (FEGUIPA), chargé de la communication, Idrissa Kallo explique que les transporteurs du poisson destinés aux villes de l’intérieur de la Guinée sont confrontés à d’énormes tracasseries routières. Selon lui, les forces de police et gendarmerie bloquent les poissonniers sur la route.

Kallo explique : « Et de nombreuses femmes ont perdu des tonnes de poisson au niveau des différents barrages. C’est pourquoi, en ce moment, elles n’ont plus le courage de venir acheter du poisson à Conakry pour approvisionner les différentes localités du pays. Je vous informe qu’il y a déjà de la crise du poisson à Kindia, Mamou, Labé et Nzérékoré, parce leur poisson vient de Conakry ».

Idrissa Kallo, secrétaire général de la Fédération guinéenne de la pêche artisanale propose d’affecter des débarcadères à des localités pour garantir les chaînes d’aprovisionnement. Photo: MAD

Idrissa Kallo, secrétaire général de la Fédération guinéenne de la pêche artisanale propose d’affecter des débarcadères à des localités pour garantir les chaînes d’aprovisionnement. Photo: MAD

Si des mesures adéquates ne sont pas prises dans un bref délai, la situation risque d’empirer prédit le professionnel de la pêche artisanale. Car, souligne-t-il, les propriétaires d’embarcations dépensent beaucoup pour que les pirogues partent en mer. Mais aujourd’hui, ils ont peur de sortir leur embarcation suite au risque d’aller pêcher à perte. Cela impacte directement sur les mareyeuses, les fumeuses, les jeunes manutentionnaires, les activités connexes, et indirectement sur le panier du consommateur final. Bref, des milliers de jeunes risquent d’aller au chômage.

Gestes barrières, couvre-feu

Dans les différents débarcadères de Bonfi, Téminétaye et Dixinn3, (Conakry) les mesures de lavage des mains avec du savon, le port des masques sont prises. Dans ces lieux, les responsables ont sensibilisé les acteurs du secteur à garder une distance raisonnable d’un mètre. Mme Salématou Bah affirme : « C'est vrai qu'il y a la méfiance entre nous, mais c'est difficile de respecter cette distance. Mais on se salue plus, et on ne s'embrasse plus comme avant ». 

Le respect de la distanciation sociale reste un problème au sein des différents ports de pêche. A l’arrivée des pirogues dans la journée, c’est une dizaine des femmes qui courent vers le quai de débarquement. Chacune veut du poisson et elles se précipitent sans penser à cette distance d’un ou deux mètres. De l’autre côté, le propriétaire de la barque ne pense qu’à vendre son poisson sans se soucier de la maladie. « C’est difficile de respecter la distance. Les autorités ne font que sensibiliser sur le lavage des mains et le port des masques. Parce que, dire aux gens d’éviter de se rapprocher ou de laver les mains alors qu’ils n’ont rien à manger, ils ne vont pas vous écouter », tranche Ismaela Kéita, un pêcheur au port de Dixinn3. 

Aux points d’entrée des débarcadères et à l’intérieur, des kits de lavage de mains sont installés à plusieurs endroits. Laver les mains, mais pas seulement. Mme Djenab Camara souhaite un accompagnement de la part du gouvernement pour faire face à la crise actuelle. « Sinon, nous et nos enfants risquons de mourir de faim à cause de cette maladie. Parce que, si on ne vend pas, on ne prépare à manger. Maintenant que nous n’arrivons pas écouler nos produits. Que faire ? Il faut quand même sortir pour tenter sa chance ».

Mme Bangoura avait exporté deux tonnes de poisson fumé vers l'Amérique du Nord, que son client n'a pas pu récupérer. Photo : MAD

Mme Bangoura avait exporté deux tonnes de poisson fumé vers l'Amérique du Nord, que son client n'a pas pu récupérer. Photo : MAD

Hadja Salimatou Bangoura souligne qu’avec le couvre-feu, les gens sont chez eux. Mais elle, ne peut pas rester sans travailler. Elle rapporte : « D'habitude, le port ici grouille du monde. Mais vous voyez que c'est presque vide. Nous, nous prenons le risque de sortir, parce que c'est notre seule source d'alimentation. Si nous ne travaillons pas, nous n'allons pas manger. On devrait rester à la maison jusqu'à nouvel ordre, mais on ne peut pas ».

Sécurité alimentaire

Avec la vitesse de propagation du COVID-19 en Guinée, [1710 cas confirmés à la date du 4 mai 2020, avec 09 décès, selon les chiffres officiels de la Guinée, dont trois hauts cadres de l’Etat, M. Sékou Kourouma, secrétaire général du gouvernement, le président de la Commission électorale, Salif Kébé, et le commissaire Victor Traoré, un ancien directeur d'Interpol en Guinée, ndlr] la capitale Conakry risque d’être totalement confinée. En ce moment, les activités de la pêche artisanale seraient « complètement bloquées ». Dans ce pays de 12 millions d’habitants, la majorité des citoyens ne mangent que le riz à la sauce au poisson. Peu de ménages ont les moyens de s’acheter de la viande. « Si on n’a pas du poisson, c’est dire qu’on ne peut pas manger. Et c’est une crise alimentaire qui se prépare », alerte Hadja Salimatou Bangoura.

Les propiétaires de pirogues, comme au port de Bonfi, dans la commune de Matam, hésitent à sortir en mer si c’est pour pêcher à perte. Photo: MAD.

Les propiétaires de pirogues, comme au port de Bonfi, dans la commune de Matam, hésitent à sortir en mer si c’est pour pêcher à perte. Photo: MAD.

Pour éviter une crise alimentaire en Guinée à cause du COVID-19, Idrissa Kallo conseille le ministère des pêches de travailler avec les professionnels de la pêche pour mettre en place un comité. Ce comité dit-il, devrait pouvoir identifier les marchés à approvisionner, les camions frigorifiques adaptés, leurs convoyeurs et les jours propices. Aussi, assister les femmes qui envoient du poisson à l’intérieur du pays afin qu’elles ne soient pas victimes des tracasseries comme cela se passe actuellement. L’autre stratégie est d’affecter chaque débarcadère à une localité. Par exemple, dire que Témenetaye va approvisionner Kindia. Bouloubinet va envoyer du poisson pour Mamou, Dixinn va approvisionner Labé, etc. Il pense : « Avec une telle stratégie, chacun saura comment se préparer pour éviter une pénurie alimentaire en Guinée ».

 
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Aliou est journaliste reporter d’images depuis plus de 9 ans et a travaillé dans plusieurs médias locaux et comme correspondant pour des médias panafricains. Passionné par des questions de développement, il a décroché de nombreux prix. Il est membre du Réseau des journalistes pour un pêche responsable et durable en Afrique (REJOPRA) et est promoteur du site Impact Afrique.