L'Europe et ses industries doivent désinvestir dans le secteur florissant de la farine et de l'huile de poisson en Afrique de l'Ouest

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Depuis plusieurs années, l'impact écologique et social du secteur florissant de la farine de poisson en Afrique de l'Ouest suscite de sérieuses préoccupations. La croissance de ce secteur, contrôlé par des investisseurs étrangers et presque exclusivement orienté vers les marchés étrangers, est une catastrophe. Il épuise rapidement l’une des ressources naturelles les plus importantes pour les communautés côtières de la région, qui n’ont pas été consultées et ne reçoivent pratiquement aucune compensation. Ce qui est alarmant, c’est qu’en dépit des préoccupations largement médiatisées, des rapports récents suggèrent que davantage d’investissements étrangers sont acceptés ou en voie de l’être en Mauritanie, au Sénégal et en Gambie pour la transformation et l’exportation de la farine et de l’huile de poisson. 

Les poissons ciblés par cette industrie sont les petits pélagiques, des poissons gras qui se rassemblent en grands bancs en Afrique de l’Ouest. Ces poissons abritent une biodiversité extraordinaire et constituent la principale source de revenus de milliers de pêcheurs et de marchands de poisson locaux. Le poisson est particulièrement important pour la région en raison de son abondance et de sa valeur nutritionnelle ; il constitue une source irremplaçable de nourriture relativement bon marché et nutritif. Cependant, depuis des décennies, les captures de petites espèces pélagiques sont en baisse, tandis que la demande régionale des consommateurs s’accroît. Vu l'état d'insécurité alimentaire et de la pauvreté dans la région, il est impératif que l’accès aux petits pélagiques en Afrique de l’Ouest sont accordé à la pêche artisanale pour la consommation humaine. Il est déplorable de permettre aux entreprises commerciales de les moudre pour nourrir les animaux et les poissons d’élevage en Asie et en Europe, ou comme intrants dans les produits cosmétiques et diététiques à la mode.

Le Greenwashing: Comment l'industrie européenne réagit au pillage

Si le rôle de l’Europe dans cette situation ne soit pas aussi inquiétant que celui de la Chine en particulier, mais aussi de la Turquie, certaines entreprises européennes investissent dans des usines en Afrique de l’Ouest, tandis que d’autres s’approvisionnent en farine ou en huile de poisson provenant de ces pays. Selon des recherches détaillées menées par Greenpeace,[1] l'UE est le principal marché de consommation de l'huile de poisson d'Afrique de l'Ouest et un consommateur important de farine de poisson ouest-africaine.

Les entreprises européennes sont conscientes des critiques auxquelles elles sont confrontées. Cependant, plutôt que d'accepter la responsabilité et de désinvestir, plusieurs s'efforcent de justifier leurs intérêts commerciaux et leurs investissements. Des entreprises comme Olvea, en France,  financent et s’engagent dans un « Fisheries Improvement Project » (Projet d'Amélioration de la Pêche : FIP) en Mauritanie, visant à aider l'industrie de la réduction du poisson à devenir plus responsable dans sa gestion.[2] Cette initiative, soutenue par le « Sustainable Fisheries Partnership » basé au Royaume-Uni, est maintenant en cours de mise en œuvre par la société de conseil britannique « Key Traceability ». Plusieurs autres entreprises qui investissent dans les industries de farine et d'huile de poisson en Mauritanie figurent sur la liste des partenaires de ce FIP, notamment des sociétés norvégiennes impliquées dans la fourniture de farine de poisson aux élevages de saumon européens.

L’objectif de ce FIP semble être de demander l’éco-étiquetage  des farines de poisson et des produits à base de l’huile de poisson de l’Afrique de l’Ouest. Olvea a déjà certifié certains de ses produits sous le label Friends of the Seas et par l’intermédiaire du Marine Stewardship Council, bien qu'il ne soit pas clair si ces produits labellisés incluent ceux provenant de ses investissements en Afrique de l'Ouest. Olvea a indiqué sur son site internet qu'elle « s'engage à s’approvisionner en huile de poisson dans les zones de pêche où les stocks de poisson ont été surveillés et évalués par la FAO et les instituts de recherche locaux comme n'étant pas menacés d’épuisement ».[3] Cependant, le groupe de travail de la FAO sur les petits pélagiques d'Afrique de l'Ouest a affirmé à plusieurs reprises que les gouvernements bloquent délibérément les efforts déployés pour surveiller les zones de pêche, expliquant que les meilleures informations disponibles montrent que les ressources en petits pélagiques en Afrique de l'Ouest sont très probablement  exposées à long terme à des niveaux alarmants de surpêche, tirés par la croissance rapide de l'industrie de la farine et de l'huile de poisson. Selon des experts travaillant avec la FAO, la quantité de poissons pélagiques utilisés pour la production de la farine et de l'huile de poisson en Mauritanie est passée de 50 000 tonnes en 2011 à 550 000 tonnes en 2018, et les études acoustiques montrent que les populations de poissons ont atteint leur plus faible concentration jamais enregistrée.[4]

Cet effort visant à rendre l'industrie de la réduction plus durable est hautement douteux. Il y a trois raisons principales à cela:

  • Premièrement, il est très peu probable qu'une pêche durable puisse émerger à court et à moyen terme, à moins que la plupart des usines de farine de poisson ne soient fermées. Imaginer que les choses s'améliorent remarquablement sans que cela se produise revient à ignorer la surcapacité structurelle de pêche et de transformation qui a été autorisée, ainsi que les preuves croissantes des défaillances systémiques de la gouvernance, y compris des niveaux élevés de corruption et de conflits d'intérêts qui entourent l'industrie. La date de fin du FIP est fixée à 2023. Il est impossible que, tout en continuant à investir dans le secteur, un environnement sera en quelque sorte créé d’ici-là pour que ces graves problèmes cessent d'exister. Ceux qui suivent cette ligne de pensée ne respectent pas le principe de précaution qui est la pierre d’angle d’une gestion responsable de la pêche.

  • Deuxièmement, le FIP peut ne pas être transparent et impartial. Ce financement est clairement assuré par des entreprises qui ont besoin de l’industrie de la farine de poisson pour continuer à croître, ou du moins pour maintenir les niveaux actuels de production. Il convient de noter que le choix des entreprises utilisées pour faciliter le FIP en Mauritanie est en train d’entreprendre parallèlement des  recherches du secteur privé sur les besoins en farine de poisson des exploitations piscicoles au Vietnam et en Thaïlande. Ce choix de partenaires est de toute évidence inacceptable pour les organisations locales de pêche artisanale, bien que ces  acteurs clés ne soient pas du tout impliqués dans le FIP.

  • Troisièmement, et c’est le plus grave, la pression en faveur d’un FIP et, à terme, d’un «label écologique» ignore le point fondamental selon lequel les droits des pêcheurs artisanaux, des transformateurs et des négociants locaux, ainsi que le droit à l’alimentation des populations  de la région, doivent prévaloir sur les profits des entreprises des pays développés. C’est pour cette raison - même si l’industrie peut convaincre les tiers certificateurs que l’industrie de la farine de poisson est «gérée de manière responsable» - que la poursuite des investissements européens est indéfendable. 

Il est inquiétant de constater que ces arguments sont aujourd’hui attaqués par des sociétés de lobbying travaillant pour des entreprises de l'UE. Lors de sa dernière réunion annuelle en Chine, l'Organisation internationale du commerce pour l'industrie de la farine de poisson - l'IFFO - a déclaré que le secteur de la farine de poisson était essentiel pour la réalisation des objectifs de développement durable de l'ONU.[5]

Dans son exposé, le réalisateur norvégien Petter Martin Johannessen a suggéré que le secteur de la farine de poisson était un facteur positif pour la réduction de la pauvreté et la sécurité alimentaire dans les pays en développement. Simultanément, l'IFFO a financé une autre entreprise britannique pour réaliser une étude sur l'impact de l'industrie de la farine de poisson en Afrique de l'Ouest. Dans une correspondance adressée à la CAPE au sujet de cette étude, l'IFFO a rejeté les protestations des organisations locales  de pêcheurs  - ainsi que les avis d’experts des meilleurs scientifiques de l'UE ayant travaillé dans le secteur pendant des décennies - et a plutôt qualifié le sujet de trop «émotif». Avec un tel état d'esprit, il y a un risque évident que la recherche commanditée par l'IFFO serve de propagande pour leurs clients.

La CAPE, en collaboration avec ses partenaires d’Afrique de l'Ouest, appelle donc les entreprises européennes ayant des intérêts dans le secteur de la farine de poisson à agir de manière responsable et à mettre fin à leurs investissements inconsidérés et à leur soutien pour la farine et l'huile de poisson en Mauritanie, au Sénégal et en Gambie. Une campagne publique de désinvestissement des entreprises européennes enverra un message fort à d’autres entreprises et investisseurs non européens, notamment la Chine et la Turquie, pour qu’ils suivent leur exemple.

Contexte: Un aperçu de la crise de la farine de poisson en Afrique de l'Ouest

La croissance de l'industrie de la farine de poisson

 Si la croissance de la production de farine et d'huile de poisson est un problème régional, c’est en Mauritanie que l’on constate les évolutions les plus dramatiques. D'une usine de traitement de déchets et des chutes de poisson avant 2010, on en décompte aujourd’hui 40 en activité  (environ 40 usines de farine et d’huile de poisson ; selon Sidi Ahmed, 24 sont actuellement en activité), dont la plupart utilisent du poisson entier. Des rapports comme celui de Greenpeace[6]  suggèrent que davantage d'usines pourraient être agréées dans le pays. Un peu plus tard et à une échelle moins alarmante, la production de farine de poisson au Sénégal et en Gambie a également augmenté; Le nombre d'usines au Sénégal a atteint six, et il en existe trois en Gambie.

Les données communiquées par les trois pays sur la production de farine de poisson sont probablement incomplètes. Les usines sont soumises à une surveillance externe minimale. De plus, certaines usines chinoises sont exemptées des règles mauritaniennes en matière de contrôle douanier et sont donc absentes de leurs statistiques nationales sur les exportations de poisson. Toutefois, selon des scientifiques travaillant avec la FAO, environ 50 000 tonnes de poisson ont été débarquées en 2010 dans des usines de fabrication de farine de poisson. En 2014, ce chiffre était passé à 240 000 tonnes. Les derniers chiffres pour 2018 indiquent que le total a plus que doublé pour atteindre 550 000 tonnes.[7]

La croissance du nombre d’usines de fabrication de farine de poisson en Mauritanie, au Sénégal et en Gambie a été principalement tirée par les investisseurs étrangers, les investissements chinois semblant être les plus importants. Environ un quart de toutes les nouvelles usines de fabrication de farine de poisson en Mauritanie appartiennent à des Chinois, et celles-ci semblent être responsables d'une échelle de production disproportionnée. En 2011, l’entreprise chinoise Poly Hondone a été autorisée par le gouvernement mauritanien à établir des activités de pêche et à construire une usine de transformation de poisson, avec l'accord selon lequel l’entreprise pourrait transformer 100 000 tonnes de poisson par an. L'accord ne précise pas quels types de poisson cela inclut, mais il est susceptible de permettre à l'entreprise de transformer et d'exporter des quantités substantielles de farine et d'huile de poisson. En 2017, une autre entreprise à chinoise, la Sunrise Oceanic Resources Exploitation Company, a installé une usine de transformation de farine de poisson dont la taille serait 3 à 4 fois celle de Polyhondone, et a également apporté avec elle sa propre flotte de pêche. Les deux usines de transformation de farine de poisson en Gambie appartiennent à des Chinois et une à des entreprises mauritaniennes. D’autres entreprises étrangères qui investissent dans ce secteur viennent de la Russie, de la Turquie, des Etats-Unis et de l’Europe, bien que la majorité des petites usines de farine de poisson soient gérées en joint-venture avec des partenaires locaux et que les informations sur les partenaires étrangers et les propriétaires véritables soient difficiles à trouver.               

L’approvisionnement des usines en poissons  

Avant la croissance de l'industrie de la farine de poisson en Mauritanie, les flottes industrielles étrangères, composées de très grands navires (principalement européens et russes), capturaient la grande majorité des petits poissons pélagiques, étaient ensuite vendus congelés ou en conserve pour la consommation humaine directe, principalement sur les marchés africains. La politique de promotion du secteur national des farines de poisson a entraîné une réduction des quotas pour les navires étrangers de pêche industrielle et, en 2012, ces navires n'étaient plus autorisés à cibler les zones côtières. C'est dans cette partie de la mer que se trouve la plus forte concentration de sardinelles rondes, le poisson primaire exploité par les usines de fabrication de farine de poisson.                     

L’approvisionnement des usines de fabrication de farine de poisson en Mauritanie, au Sénégal et en Gambie s'appuie sur des pêcheurs artisanaux implantés localement, les pêcheurs sénégalais jouant un rôle important en Mauritanie. Cependant, la situation en Mauritanie est complexe et (difficile) changeante. Plusieurs des usines chinoises ont leurs propres bateaux de pêche et ne s'approvisionnent donc pas auprès des pêcheurs locaux. À partir de 2015, des senneurs à senne coulissante turcs ont également commencé à opérer dans le pays pour approvisionner les trois usines de fabrication de farine de poisson appartenant à des entreprises turques. Cette flotte turque s'est élargie pour approvisionner d'autres usines et a également été sous-traitée par des entreprises chinoises. Un accord de pêche bilatéral entre la Mauritanie et la Turquie est en cours de négociation [8] (bien qu’il n’y ait rien de public à ce sujet), et on estime qu’il y a actuellement 50 à 60 navires industriels turcs opérant dans la zone côtière.

Le commerce des farines de poisson

La Chine est la première destination des exportations de farine de poisson des trois pays. La farine de poisson est principalement utilisée pour nourrir les animaux et les poissons d'élevage, et certaines des entreprises possédant des usines de fabrication de farine de poisson en Mauritanie, telles que Sunrise, possèdent également des exploitations piscicoles commerciales en Chine. [9] 

Les exportations d'huile de poisson sont principalement destinées à l'industrie pharmaceutique et aux cosmétiques, le marché européen étant le plus important. Les entreprises de cosmétiques possèdent des usines de transformation de farine de poisson en Mauritanie, telles que le groupe français Olvea.                        

Implications écologiques

La croissance rapide de la production de farine de poisson en Mauritanie est largement condamnée comme n’étant pas durable, entraînant une diminution sans précédent des populations de poissons, en particulier de sardinelles rondes. Telle est l'opinion du Groupe de travail de l'évaluation des petits pélagiques en Afrique du Nord-Ouest de la FAO, dont le dernier rapport décrit que les études acoustiques menées par un navire de recherche norvégien indiquent que les populations de poissons sont actuellement au niveau le plus bas jamais enregistré.[10]    On ne dispose pas de données plus précises sur l’état des populations de poissons car les autorités nationales de la pêche ne parviennent pas à recueillir des données significatives et de bonne qualité provenant des usines de farine de poisson ou des navires qui les approvisionnent. Cependant, le groupe de travail de la FAO est convaincu que l’industrie de la farine de poisson est en train d’appauvrir les populations de poissons à des niveaux drastiques.

Les autorités nationales et certaines entreprises exploitant des usines de fabrication de farine de poisson ont nié à plusieurs reprises cette situation,  affirmant que la croissance de la production de farine de poisson est durable. En Mauritanie, cette opinion s’appuie sur la théorie selon laquelle les stocks de sardinelles rondes du pays ne migrent pas au-delà des frontières nationales et, historiquement, le pays a toujours sous-exploité cette population locale de poissons. Cependant, de nombreuses preuves montrent que ces populations de poissons sont migratrices et que l'intensification de la pêche en Mauritanie contribue donc à réduire l'abondance de la pêche au Sénégal et en Gambie. [11] 

L'impact écologique de l'industrie de la farine de poisson comprend des niveaux substantiels de prises accessoires par les chalutiers approvisionnant les usines. À cet égard, la situation en Mauritanie devrait se détériorer avec la multiplication des navires industriels étrangers, qui sont moins sélectifs et plus meurtriers en matière de capture d'autres espèces marines que le secteur artisanal.                     

Au-delà de l'épuisement direct des populations de poissons, de nombreux rapports documentent l'impact néfaste de la pollution causée par les usines de farine de poisson sur l'écologie environnante, notamment le rejet direct de déchets pourris et de produits chimiques dans la mer. En Gambie, il a également été signalé que les pêcheurs locaux livraient des quantités excessives de poisson aux usines, ce qui a entraîné le déversement de grandes quantités de poisson déversées sur les plages.[12]

Impacts sociaux et économiques

La multiplication des usines de farine de poisson a été soutenue par certains pêcheurs locaux, créant une nouvelle opportunité pour la vente du poisson. Cependant, de nombreux pêcheurs et organisations de pêcheurs s'opposent à l’augmentation du nombre des usines de farine de poisson au motif que cela contribue à une augmentation des taux de surexploitation et, par ricochet, à une diminution des prises. En Gambie, les conflits ont éclaté entre les pêcheurs locaux, qui s'opposent aux opérations des usines de farine de poisson, et leurs homologues sénégalais, qui ont été engagés par les usines pour leur fournir des petits pélagiques qu'ils pêchent dans les eaux gambiennes. Les femmes transformatrices de poisson au Sénégal et en Mauritanie ont réclamé avec force la fermeture des usines de farine de poisson qui sont en concurrence directe avec elles pour l'accès au poisson destiné à la transformation. En raison de cette concurrence, les femmes transformatrices de poisson sont privées de matière première. Des emplois et des moyens de subsistance sont perdus.

Les opportunités pour la pêche artisanale en Mauritanie d’approvisionner les usines de farine de poisson ont diminué depuis que la flotte de senneurs turcs est arrivée et est désormais privilégiée comme fournisseur par de nombreuses usines. Certaines des plus grandes usines chinoises ont également amené leurs propres bateaux de pêche pour s’approvisionner en poisson. 

Bien que l’information sur le prix payé par les usines de farine de poisson aux pêcheurs soit difficile à corroborer, on rapporte que certaines usines ont conclu des accords injustes à long terme avec les pêcheurs. Il s’agit d’accorder des prêts ou des paiements partiels, mais à un prix global du poisson inférieur à celui proposé sur les marchés locaux pour la consommation humaine directe. Les pêcheurs qui ont été attirés par ces accords sont pris au piège, ce qui réduit encore davantage la disponibilité du poisson pour les négociants et les transformateurs locaux.                      

Le gouvernement mauritanien et certaines entreprises ont contesté l'opinion selon laquelle la croissance de la production de farine de poisson a un impact négatif sur la sécurité alimentaire. L'argument repose sur l'idée selon laquelle l'approvisionnement en poisson destiné à la consommation humaine directe en Mauritanie est plus qu’adéquatement pris en compte. Cependant, cela néglige l'importance historique de la capture de poisson dans les eaux mauritaniennes dans l'approvisionnement régional en poisson pour la consommation humaine, qui est en train de disparaître à mesure que la multiplication des usines de farine de poisson dans le pays réoriente le poisson vers les marchés étrangers. La démarche mauritanienne manque donc de sensibilité régionale, car il s’agit d’une ressource partagée au niveau régional.                      

L'impact négatif des usines de fabrication de farine de poisson est particulièrement évident sur le commerce local et régional du poisson. Celles-ci ont fait flamber les prix de certaines espèces de petits pélagiques sur les marchés locaux, notamment la sardinelle ronde, tandis que la quantité de poisson disponible pour les fumeuses et les vendeuses est en baisse. Il n’y a pas encore eu d’évaluation approfondie de l’impact global sur les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire régionale, mais toutes les preuves disponibles laissent présager une situation extrêmement préoccupante.                      

Bien que la croissance de la production de farine de poisson soit officiellement soutenue pour sa contribution aux économies nationales, les usines fournissent des emplois locaux et une valeur ajoutée limités à l'économie. Presque tout le poisson est transformé pour les marchés d'exportation. La pêche artisanale des petits pélagiques, destinée à approvisionner les marchés en consommation humaine directe, soutient beaucoup plus l'activité économique de la région. Il est donc fort probable que la croissance de la production de farine de poisson, en raison de son impact négatif sur la pêche locale et le commerce du poisson (ainsi que le tourisme côtier dans certaines régions), ait un impact négatif net sur les économies nationales.                      

La réponse des autorités nationales

Les autorités nationales qui encouragent la croissance des usines de farine de poisson n'ont pas entrepris d'études d'impact social et environnemental transparentes et participatives. Il semblerait que l'autorisation des usines ait été accordée au cas par cas ad hoc et en grande partie sur fond d’intérêts économiques à court terme. La situation est aggravée par l’incapacité de longue date des gouvernements de la région à soutenir la création d’une organisation régionale de gestion des pêches efficace.                      

On s'inquiète généralement du fait que, malgré l'évidence croissante de problèmes, l'enthousiasme manifesté par les autorités nationales pour la croissance du secteur de la farine de poisson est plus fort que jamais. Elles semblent également résolues à permettre aux usines de maximiser leurs profits.                       

Bien que la raison officielle de ce soutien soit douteuse (soutenir la croissance économique et utiliser des populations de poissons qui ne sont pas pleinement exploitées), il est largement à craindre que le soutien aux usines provienne d'autres considérations, y compris l'investissement direct et la propriété de certaines usines par des élites politiques, ainsi que les investissements financiers et l’aide au développement fournis par des pays étrangers. Les contrats d’investissement accordés aux entreprises chinoises du secteur de la farine de poisson sont étrangement généreux et ne présentent aucun intérêt pour les États côtiers, à moins que d’autres facteurs n’influencent ces accords. En général, la croissance du secteur de la farine de poisson caractérisée par de faibles niveaux de transparence et de responsabilité fait craindre qu'il ne soit influencé par une corruption de haut niveau.[13] Cela serait conforme aux allégations formulées dans d'autres secteurs de l'industrie de la pêche dans la région, ainsi qu'avec le secteur pétrolier et gazier extracôtier.

En Mauritanie, les autorités nationales ont répondu aux préoccupations écologiques des populations de poissons de sardinelles rondes en fixant des limites au volume annuel que chaque usine peut transformer. Cependant, la mise en œuvre de ces règles laisse planer beaucoup de doute. Il est signalé que certaines usines ont très probablement réagi à ces nouvelles lois en déclarant à tort que la sardinelle est une autre espèce exemptée des limites imposées à la transformation. Les efforts déployés par les autorités nationales pour répondre à ces problèmes semblent très faibles, voire  inexistants.                        

Tout effort visant à réglementer la quantité de poisson traitée par les usines de farine de poisson de la région, dans le respect de la durabilité, est sérieusement compromis par la croissance rapide de leurs capacités de production. Les usines auront probablement besoin de quantités élevées de poisson pour compenser leurs investissements et maintenir leurs bénéfices.                      

Selon des experts de haut niveau travaillant avec la FAO, l'incapacité des autorités nationales à fournir des données sur la production de farine de poisson n'est pas due à des contraintes de financement ou de compétences.[14]    Éviter de mettre en évidence la surexploitation du poisson est probablement une situation délibérée. Cela augmenterait la pression des acteurs nationaux et internationaux pour une réduction de l'intensité de la pêche et de la production de farine de poisson.

Conformément à ce qui précède, les hauts responsables du gouvernement ont condamné les efforts déployés par les pêcheurs locaux pour dénoncer la croissance et la gestion de l'industrie de farine de poisson. Les organisations de pêche artisanale affirment être intimidées et menacées. En Gambie, des organisations de pêche ont organisé (une conférence de presse en septembre) pour discuter de la crise croissante avec plusieurs parties prenantes, y compris le ministère de la Pêche, mais le gouvernement a décliné leur invitation sous le prétexte que les pêcheurs n'avaient pas le droit d'intervenir dans les affaires du gouvernement.[15]

 

 

 

 

                                             


Notes

[1] Voir Greenpeace (2019) See Greenpeace (2019) «A Waste of Fish» (Un gaspillage de poisson) , disponible via le lien: https://www.greenpeace.org/international/publication/22489/waste-of-fish-report-west-africa/

[2] Les informations sur la FIP sont disponibles à l'adresse suivante : https://fisheryprogress.org/fip-profile/mauritania-small-pelagics-purse-seine.

[3] Voir: https://www.olvea-fish-oils.com

[4] Ad Corten, communication personnelle, octobre 2019. Corten a siégé au groupe de travail de la FAO sur la pêche de petits pélagiques en Afrique de l'Ouest. Il est l'expert technique de l'Union européenne lors de réunions de comités mixtes avec le gouvernement mauritanien.

[5] Voir The Fish Site, 8 novembre 2019, «Reduction fisheries play a "positive" role in reaching SDGs» (La pêche de réduction joue un rôle "positif" dans la réalisation des objectifs de développement durable), https://thefishsite.com/articles/reduction-fisheries-play-a-positive-role-in.sdgs

[6] Greenpeace (2019) «A Waste of Fish» (Un gaspillage de poisson), disponible à l’adresse : https://www.greenpeace.org/international/publication/22489/waste-of-fish-report-west-africa/.

[7] Ad Corten, comm. pers.

[8] Öztürk, B., (2017), 'Quelques notes sur la flotte de pêche turque en République islamique de Mauritanie', Journal de la mer Noire/Environnement Méditerranéen Vol. 23, n ° 1: 88-91

[9] Les données sur le commerce de farine et d'huile de poisson ont été collectées par Greenpeace et sont présentées dans son étude récente.

[10] FAO (2018). Groupe de travail de la FAO sur l'évaluation des petits poissons pélagiques au large du nord-ouest de l'Afrique (copie préliminaire). Banjul, Gambie, 26 juin - 1er juillet 2018. Disponible à l'adresse www.fao.org/fi/static-media/MeetingDocuments/CECAF/CECAF-SSC8/Ref.8e.pdf.

[11] Standing, A. (2017). « The growth of fishmeal production in Mauritania: The implications for regional food security » (La croissance de la production de farine de poisson en Mauritanie: conséquences pour la sécurité alimentaire régionale), Coalition pour des accords de pêche équitables. Disponible à l'adresse http://cape-cffa.squarespace.com/new-blog/2017/2/23/the-growth-of-fishmeal-production-in-mauritania-theimplications-for-regional-food-security

[12] Summers, H., 20 mars 2019, «Chinese fishmeal plants leave fishermen in the Gambia all at sea» (Les usines chinoises de farine de poisson abandonnent tous les pêcheurs gambiens en mer), journal The Guardian , disponible à l' adresse suivante : https://www.theguardian.com/global-development/2019/mar / 20 / plantes-farine de poisson-congés-pêcheurs-gambie-tout-en-mer

[13] Ad Corten, comm. pers.

[14] Ad Corten, comm. pers.

[15] La lettre du secrétaire général du ministère de la Pêche a été partagée par le CFFA par des membres de la CAOPA.